La question est et sera posée. Qui doit être propriétaire des autoroutes, des services de l’eau, de l’énergie, des aéroports de Paris, aujourd’hui, demain de l’air, de la mer, des gènes des espèces végétales et animales des territoires français ?
Aéroports de Paris, autoroutes…le jackpot pour les entreprises ?
La réponse devrait être simple ; ils appartiennent aux Français. Les sociétés qui les exploitent, exploitent des monopoles naturels, elles assurent des services essentiels à la vie des territoires ou à la sécurité nationale. Hier, l’État en était propriétaire, sous des formes diverses, puis il en est devenu actionnaire. Il cherche maintenant à vendre ses actions. Pas seulement pour de mauvaises raisons.
L’histoire l’a montré ; l’État est un mauvais actionnaire, et un propriétaire handicapé. L’échec du capitalisme d’État, celui de la propriété étatique des moyens de production, n’est plus à démontrer. Il est faux d’en conclure à la supériorité du modèle de la propriété privée telle que la société par actions lui donne sa forme dominante actuelle, une forme si dominante qu’elle tend à devenir la seule organisation de l’activité économique jugée légitime — le commissaire européen Mac Creevy qui voulait tordre le cou aux sociétés mutuelles et coopératives a bien des héritiers dans le gouvernement français d’aujourd’hui.
La réalité est que les privatisations passées ont assuré aux actionnaires des sociétés qui en bénéficient des rentes sur la France. Les Français les paient. Rente des autoroutes, rente des aéroports, rente des services de l’eau, de l’énergie, du transport ferroviaire, de la vitesse, rentes demain sur les jeux comme sur la vie.
Qui ose dire que les tarifs des péages, des parkings, des radars, ou des atterrissages à Paris-CDG, sont en concurrence ? Qui peut nier que les sources les plus rentables du capitalisme actuel résident dans les péages qu’une population est obligée de payer, pour se déplacer, pour se nourrir, pour boire, demain pour jouer, pour respirer ou pour se reproduire ? Le retour sur fonds propres des sociétés de parking ou d’autoroutes, qui atteint ou dépasse 30 %, le retour sur investissement des radars, secret d’État, prouve une situation de rente aux dépens de la collectivité nationale.
Cette situation n’est pas acceptable — à moins que… À moins que les bénéfices de ces sociétés reviennent à la collectivité nationale. À moins que ces sociétés fassent retour au territoire de ce qui ne leur est pas nécessaire pour payer leurs salariés, rémunérer leur capital, investir dans l’amélioration de leurs infrastructures et de leurs services — le « trop-perçu » cher aux Caisses Desjardins québécoises et dûment restitué aux sociétaires.
Vers un modèle coopératif ?
C’est pourquoi le modèle d’association en capital que pratiquent les coopératives avec leurs sociétaires devrait devenir le modèle des futures privatisations de sociétés publiques. Quatre caractéristiques le distinguent ;
- Les sociétaires sont associés en capital, mais sont rémunérés sous la forme d’un intérêt aux parts sociales qui laisse la plus grande partie des bénéfices se réinvestir dans l’entreprise.
- L’objet social n’est pas la rentabilité financière, qui est seconde par rapport à l’objectif premier : transmettre un outil au service de la collectivité, plus performant, plus actif et plus solide. A cet égard, le sociétaire est davantage usufruitier que propriétaire.
- Les sociétaires votent aux assemblées générales les résolutions proposées par le Conseil, mais selon le régime ; « un homme, une voix ».
- Une coopérative ne peut pas faire l’objet d’une OPA. Toute cession de parts sociales est soumise à l’agrément des autres sociétaires.
Sous quelques réserves, notamment l’impartageabilité des réserves, qui revient en fait à accorder un chèque en blanc au management salarié, comme nombre de coopératives agricoles ou bancaires en font l’expérience, le modèle coopératif est à la fois ancré dans des territoires ou des communautés professionnelles, et adapté à la concurrence et au marché. Il préfigure même des économies inclusives où la participation n’est pas un vain mot, où le retour au territoire prime la quête du rendement financier. Et il répond aux besoins de financement des entreprises concernées ; plus de vingt millions de Français déjà sont sociétaires de coopératives, et jamais ces coopératives n’ont échoué à lever des fonds propres !
Voilà pourquoi l’association du plus grand nombre des Français au capital des entreprises exploitant des monopoles naturels, de grands services collectifs, ou des activités stratégiques devrait être une priorité. Voilà pourquoi elle devrait emprunter une forme dérivée du sociétariat pour mettre les prédateurs financiers hors jeu de futures privatisations de monopoles naturels.
Nos terres, nos aéroports, nos routes et nos autoroutes, sont à nous, et ce sont les Français, ceux qui le peuvent et qui le veulent, qui devraient en être exclusivement les associés. Vendre la participation de l’État d’aéroports de Paris devrait être l’occasion de proposer à tous les Français qui le peuvent et qui le veulent de devenir associés de l’entreprise française.
Combien de millions de Français voudraient s’associer au succès d’une marque d’excellence française ? Combien voudraient devenir associés de la Poste, associés des sociétés d’autoroutes, de la SNCF, ou d’une banque de la vie, fonds souverain détenant tous les droits sur les caractères génétiques des espèces françaises endémiques et gérant en monopole leur exploitation ? Et demain, des sociétés de portage du foncier agricole, qui seules pourront éviter la mainmise de fonds d’investissement et de capitaux étrangers sur les terres de France ?
Au moment où le « crowdfunding », les financements participatifs et les financements de proximité trouvent leur fonction majeure — réconcilier le capital et les territoires — un gouvernement qui échapperait à la tutelle des banques d’affaires et, à travers elles, des fonds internationaux, réconcilierait les Français et les entreprises ; est-il tâche plus nécessaire ?
Que l’Etat vende tout ou partie des actions qu’il détient dans nombre d’entreprises en situation de monopole effectif ou potentiel, est un acte de gestion qui peut être légitime, à une condition ; qu’il ne brade pas le patrimoine national à des capitaux étrangers. Qu’il les vende aux Français, qu’il rende aux Français ce qui leur appartient, et qu’il ne fasse pas l’erreur de laisser des capitaux nomades, qui n’ont en rien contribué au succès de ces entreprises, qui ne sont pour rien dans leur développement, s’en emparer pour en tirer le profit maximum au détriment de leurs clients, ces Français obligés d’avoir recours à leurs services.
Ce n’est pas ainsi que se fera la politique économique de la France, et ce n’est pas ainsi que des entreprises françaises retrouveront la faveur des Français. C’est en offrant à chaque Français de devenir associé des entreprises nationales, en assurant le retour au territoire des bénéfices réalisés sur ce territoire, et en dépassant l’exigence de compétence technique et managériale pour la subordonner à une exigence de responsabilité nationale et territoriale qu’un projet politique pourra faire renaître un grand projet industriel et un grand projet d’entreprise pour la France.
Hervé Juvin
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