Pourquoi faut-il hésiter avant de l’écrire ? L’Islam est une grande religion. Taine l’a affirmé, en 1872, disant même que ceux qui n’avaient pas connu la splendeur de Bagdad ses jardins suspendus et de sa cour libertine, sous les califes Abbassides, dans les années 1100 – 1300, ne savaient rien de la splendeur du monde ! Bagdad, avec ses jardins suspendus, ses palais, ses mosquées, était alors l’un des sommets de la civilisation, une ville vingt fois plus peuplée et plus riche que Paris.
L’occupation américaine succédant aux ravages exercés par Saddam Hussein, au nom des mêmes fantasmes de « moderniser » n’en a rien laissé. Bien avant Marco Polo ou Plan Carpin, ces voyageurs éclairés que furent Al Biruni, Idrissi, Ibn Battuta, et tant d’autres, ont uni le Maghreb, l’Europe et la Chine, et rêvé de l’unité du continent. Et qui peut oublier la formidable expansion de l’Islam, entre l’Hégire et le Moyen Âge, qui a conquis la moitié du monde occidental d’alors en un siècle à peine et qui fut bien près de rééditer les exploits du jeune Alexandre le Grand ?
L’Islam est une religion dont nous savons si peu ! Si proches, et si loin à la fois ! La Médine du prophète comptait maints lieux de plaisirs, de vin et de fêtes, que l’histoire a préféré oublier. Comme elle a oublié une vie du prophète marqué par l’amour des femmes. Celui de la très jeune Aïcha est au cœur du chiisme. Comme elle a oublié la pratique de ces « mariages temporaires » dûment sanctionnés par la fatwa d’un imam, mariages conclus pour une durée limitée entre une femme et un homme de passage, souvent un commerçant, et dont les grands voyageurs cités ont fait le meilleur usage — une femme dans chaque port ; serait-ce l’un des attraits de l’Islam ?
Récemment encore (dans les années 2000), le gouvernement malais a dû prendre des dispositions d’ordre public (le dépôt d’une garantie minimale au profit de la femme) pour éviter la multiplication de tels « mariages temporaires » entre de jeunes et jolies Malaises et de moins jeunes voyageurs venus du Golfe, que des imams locaux étaient heureux de sanctionner religieusement, pour un mois, un été, et quelques milliers de dollars…
L’islam se nourrit de notre vide
Est-il permis de l’écrire ? L’Islam n’est pas seulement ce que les actes terroristes nous donnent à voir, ce que les échecs politiques répétés des Frères musulmans illustrent, ni ce que la propagande venue des pays du Golfe, porteuse de la glaciation wahhabite qu’a connue l’Islam depuis cinq ou six siècles, donne à croire aux fidèles qu’elle égare – mais qu’elle multiplie. Et il est encore moins ce que les belles âmes de l’universalisme occidental veulent faire de lui.
La réalité est que l’Islam se nourrit des vertiges de l’Occident, de sa repentance, de sa haine de soi, et du vide spirituel qui le ronge. La réalité est que l’Islam est devenu la figure de l’Autre ; la plus proche, la plus confrontante, la plus clivante. La plus insupportable aussi à ceux qui veulent que tous les hommes soient les mêmes, et qui n’acceptent que ce choix ; ils sont comme nous, et l’Islam ne fait aucune différence ; ils ne sont pas comme nous, et ils doivent le devenir. La seule question qu’il faut leur poser est ; comment vous faites ?
Le signe de discorde est là ; à ce jour, l’Islam n’est pas soluble dans la modernité. L’individualisme le réveille au lieu de l’anesthésier, comme les Frères Musulmans, bien dans la société moderne, bien dans l’économie de marché, la finance et la banque, en fournissent l’illustration, insaisissable pour l’utilitarisme contemporain. Il résiste ; mieux, il est une mondialisation à lui tout seul, comme il l’a été depuis dix siècles, sans différence entre les Croyants, et une forme de mondialisation qui assure à ses fidèles la sûreté de l’âme et la certitude du Vrai, du Bien et du Bon que les sociétés de l’individu n’apportent plus. L’Islam demeure tout ce qu’est une religion ; une raison de tuer ou de mourir. C’est ce que le catholicisme ne sait plus être. C’est ce que nous ne voulons plus voir, nommer, accepter.
Une Europe sortie de l’histoire, un Occident qui n’accepte plus que rien, ni l’honneur, ni la foi, puissent mettre en balance une vie humaine, ne comprend plus rien de ce qu’est une religion. Et il est radicalement incapable de comprendre ce que représente une religion qui est tout ce qu’est une religion — le tout de l’être et de la vie. Les cinq prières quotidiennes, le jeûne du Ramadan, l’obligatoire récitation des surates du Coran, ont précisément cette fonction ; rappeler que rien n’échappe à la foi. Là où nous avons appris à séparer, et d’abord le laïc du religieux, et encore le privé du public, ils affirment l’unité.
Les accommodements raisonnables que l’Église catholique, devenue protestante à sa manière, a passé avec le siècle, ceux que certains esprits, comme Pierre Manent, conseillent d’adopter envers l’Islam, n’aident pas à une meilleure intelligence ; la religion que la majorité des Français et des Européens — pour combien de temps encore ? — identifie à la religion, a cessé d’être ce qu’elle prétend — de religion qui lie à plus haut que soi, elle a fait une amicale d’entre soi, une sorte de socialisme à l’encensoir.
La plus grande insulte à l’Islam ne vient pas de ceux qui luttent contre la présence de l’Islam en Europe, de même que les pires ennemis des animistes africains n’étaient pas les missionnaires qui brûlaient les fétiches ; eux croyaient à leur pouvoir. Leurs pires ennemis sont les collectionneurs qui y voient des objets d’art, c’est-à-dire rien ! Les pires ennemis de l’Islam sont ceux qui disent que l’Islam ne fait aucune différence ; quel mépris, et quelle ignorance !
Le mépris pour l’Islam, soluble dans la globalisation, qu’Internet et la fréquentation assidue des séries américaines réduiraient au folklore, est le fait d’un Barack Obama se permettant de profaner l’université Al Azhar du Caire en disant aux Musulmans ce qu’est leur religion — sur le cahier des charges des démocrates américains. Et il est le fait d’un François Hollande donnant aux Musulmans de France une leçon sur l’Islam — François Hollande ! Elle est le fait de toutes celles et de tous ceux qui, dans l’ignorance entretenue des textes et des faits, continuent d’affirmer le caractère pacifiste, humaniste, droits-de-l’hommiste de l’Islam.
Ont-ils lu le Coran et ses phrases terribles sur les infidèles et la terre de la Guerre (dar al harb) ? Elle est encore plus le fait de ces dirigeants occidentaux qui, après quelques milliers de morts et combien de combats perdus sans être livrés, refusent de nommer l’Islam et ses militants religieux comme la cause du terrorisme qui a frappé Paris comme il a frappé Nice, Madrid, Cologne ou New York, et de ces dirigeants français qui continuent d’agiter le spectre de l’extrême droite alors que tous les évènements antisémites graves depuis quarante ans ont été l’effet de groupes terroristes ou d’extrémistes liés à l’Islam ! Qu’ils en parlent aux Chrétiens d’Orient, aux Coptes égyptiens et aux yézidis !
Aux musulmans de nous dire s’il y a un Islam de France
Le respect consiste à dire que c’est aux musulmans, et à eux seuls, de dire ce qu’est l’Islam. Et il leur appartient, non pas de dire, mais de prouver s’il y a, s’il peut y avoir, s’il doit y avoir, compatibilité entre l’Islam et l’Occident, entre l’Islam et la France, société laïque aux racines chrétiennes, République de l’égalité et des libertés. Rien n’est prouvé, rien n’est acquis. Depuis qu’au sommeil millénaire de l’Islam a succédé un réveil conquérant, intolérant, inapte au compromis, depuis qu’à l’Islam débonnaire des marabouts a succédé celui des Madrassas et des imams du Golfe, la question qui a taraudé l’Europe pendant des siècles se pose de nouveau ; pouvons-nous entretenir plus qu’un bon voisinage avec l’Islam, et affirmer qu’il y a un Islam de France, comme il y aura un Islam d’Europe ?
La question est là. Il y a un Islam en France. Il s’est invité tout seul, il prospère, il grandit, il impose ses signes, sa loi, ses mœurs, là où la France hésite, recule ou se tait. Y a-t-il un Islam de France ? Ce n’est pas aux élus français, ce n’est pas à la sotte affirmation ; « tous sont des Français comme les autres », de répondre, c’est aux fidèles de l’Islam, à eux et à eux seuls. Face à cette question, qui pourrait bien être la question du futur, deux attitudes sont également fausses. Celle qui affirme, à la suite d’éminents auteurs, que l’Islam est la religion la plus bête du monde. Qui sont-ils pour juger d’une foi millénaire, partagée par un milliard d’hommes et de femmes ? Lawrence, Massignon, Guénon, au secours !
Et celle qui affirme par principe, sans le commencement d’une preuve, et même, contre les faits les plus récents, que la coexistence de l’Islam avec des sociétés européennes laïques et libérales ne pose aucun problème. Ceux-là devraient mieux réfléchir au sort des femmes en terre d’Islam, au sort des minorités chrétiennes en terre d’Islam, au sort de ceux qui répudient l’Islam pour se convertir à une autre religion, et tempérer un peu leur ardeur, ou réfléchir à leur collaboration. Et tous feraient mieux de s’ouvrir à ce relativisme historique qui suggère qu’il a eu des temps de douceur, de tolérance et de sagesse avec l’Islam, et qu’il y a des temps de fureur, d’affrontement et de tumulte avec l’Islam.
Qui rappelle que l’unité de la civilisation européenne s’est faite contre l’Islam, en Espagne comme en Serbie et dans le combat contre les Barbaresques comme dans la lutte pour ouvrir les ports de l’océan indien en détruisant le monopole musulman. Nous sommes à n’en pas douter dans ce temps-là. Il appelle d’autres mots, d’autres courages, et d’autres armes que ceux qui nous sont légués par d’autres temps. Il appelle à des moratoires dans la construction de mosquées, l’autorisation d’écoles coraniques, il requiert une surveillance attentive des associations musulmanes qui complètent ou remplacent les systèmes de solidarité nationale sous condition confessionnelle, voire exige des interdictions de financements extérieurs, d’importation d’imams et d’ingérence religieuse, tant que la réponse n’a pas été donnée ; peut-il y avoir un Islam de France ?
La séparation est la voie du respect, de la dignité et de la réciprocité. C’est aussi et surtout la condition de la confiance et de cette civilité qui habite les rapports de ceux qui savent qu’ils partagent l’essentiel – la conscience de leur différence, la volonté de la préserver, le choix de demeurer autre, chacun chez soi. C’est le choix de la séparation, c’est celui du respect, et c’est celui de la paix. Le temps est venu pour l’Europe de repenser sa séparation séculaire avec l’Islam et de tracer ses frontières pour le siècle qui s’ouvre.
Hervé Juvin
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