En mai 2014, j’écrivais un éditorial pour La lettre d’information de l’Intelligence Economique des Ministères économiques et financiers. Celui-ci est toujours d’actualité.
La France a connu le monde. Une part du rayonnement de la France vient d’une présence au monde exceptionnelle. Il y a peu de ports, de forêts ou de déserts où des Français n’aient pas combattu, exploré, entrepris. Il y a peu de sociétés humaines que des Français n’aient pas voulu découvrir, comprendre, et aimer. Et il y a peu de terres où des Français n’aient pas su rencontrer l’Autre, avec curiosité, avec intérêt, avec respect.
Faut-il en parler au passé ? Je suis inquiet d’une tentation de la France à se refermer sur elle-même, je suis inquiet de la résignation de la France à voir d’autres la supplanter dans des régions de grande proximité, dont certains furent des départements français, je suis plus inquiet encore de cette substitution de l’opinion à l’intelligence.
Juger avant de comprendre, l’inverse de la lucidité, de cette première qualité de l’analyste, qui est aussi la moins partagée. Lucidité signifie voir les choses telles qu’elles sont, pas comme on voudrait qu’elles soient, pas comme elles devraient être. Lucidité signifie analyser, décrire, comprendre, en s’abstenant de tout jugement de valeur, en suspendant son opinion ; ils viendront après, s’il y a lieu. Je vois partout le jugement de valeur et l’opinion précéder et remplacer la compréhension.
Je vois partout à l’œuvre le principe banalisant ; « tous les hommes sont les mêmes », qui dispense de l’observation – puisqu’on sait, il suffit d’appliquer le benchmark ! – et ensuite, met fin à la curiosité ; puisqu’ils sont comme nous, pourquoi y aller voir, ce qui nous va leur va ! Voilà la raison d’une inquiétante ignorance du monde, et de préjugés qui nuisent à nos entreprises et à notre économie. Le dur devoir du réel est devant nous. II commence par la rencontre, le respect, et la connaissance de l’Autre, celui qui ne sera jamais le même, celui qui à ce titre vaut attention, considération, et compréhension ; celui aussi qui nous fait mieux comprendre qui nous sommes nous-mêmes.
La redécouverte du monde est la redécouverte de l’autre, de cette diversité foisonnante des sociétés humaines qui est une richesse tout aussi importante que la biodiversité animale et végétale, et la clé de l’action économique pertinente dans le temps
Elle s’appelle intelligence territoriale, elle s’appelle intelligence culturelle, politique et sociale, elle est au cœur de l’intelligence stratégique qui gagne et fait gagner la marque France. Car, n’en doutons pas, après la sidération provoquée par la mondialisation et l’avènement de l’hyperpuissance, après le choc d’uniformisation qui a traversé le monde et a donné cette illusion d’un monde plat, le monde redevient le monde, comme écart, comme relief, et comme différence. Que ceux qui en douteraient voient l’élection probable de Narendra Modi en Inde, le succès électoral d’Erdogan en Turquie, la cote de popularité de Vladimir Poutine, ou la nouvelle synthèse du capitalisme national de Parti d’un Xi Jin Ping ! Et qu’ils regardent le statut officiel tout récemment conféré par l’Etat ivoirien aux rois et chefs traditionnels ! Le monde ne marche pas dans les clous que la mondialisation occidentale a traçé pour lui ; il est urgent d’en prendre conscience, et d’avancer avec lui !
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