Encore l’inflation des bonnes intentions. Encore la falsification de l’histoire. Encore l’illusion de peser, de compter, de parler au monde. Une petite paroisse qui se prend pour le monde…
Christine Lagarde aux USA plutôt qu’à Bruxelles
Difficile de considérer autrement le pied de nez de Christine Lagarde, qui fait savoir le vendredi avant son audition en séance plénière du Parlement européen, qu’elle est retenue par des rendez-vous importants aux États-Unis, et qu’elle ne viendra pas répondre aux députés. Elle invoque « a short notice », alors que l’audition est prévue depuis quinze jours au moins…
Comment dire autrement au Parlement qu’il n’a que l’importance qu’on veut bien lui accorder, et que ce ne sont pas les parlementaires qui décident de l’élection du Président de la BCE ? Comment dire mieux que la BCE n’a rien à faire de l’avis du Parlement européen ? Le pire est qu’elle a raison, puisqu’en son absence, et avec très peu de protestations, elle est élue à une confortable majorité… Si certains cherchaient des raisons de voter contre elle, ou de retarder le vote, ils les ont oubliées fort à propos pour l’enregistrement de décisions prises ailleurs et sans eux. C’est-à-dire contre eux ; car qui croit que Christine Lagarde trouvera des raisons de consacrer temps et attention à un Parlement qu’elle a délibérément méprisé sans qu’il réagisse ?
De la tradition parlementaire britannique
Mardi, débat sur le Brexit. Tous les députés du Brexit party sont là, Nigel Farage en tête. Beaucoup de Britanniques des autres groupes aussi… et si peu d’autres députés ! Il faut l’avouer, je suis toujours impressionné par la vigueur oratoire des Britanniques. L’un d’eux m’explique :
- D’abord, ils ont une tradition parlementaire combien plus ancienne et plus vivace que la nôtre. Des discours de Churchill à ceux de Mme Thatcher, c’est au Parlement que se sont joué les grands moments de la vie politique britannique.
- Surtout, leur système de débat est accusatoire ; chacun plaide sa thèse à fond, et le juge décide qui il croit. En France, le système est inquisitorial ; le juge cherche à savoir la vérité en-dehors du débat. Intéressante analyse transposée aux joutes parlementaires ; mais que va-t-il rester du système britannique quand il sera sorti de l’impasse du Brexit sans Brexit ?
La réinvention de l’histoire européenne
Mercredi, avant le débat sur le blanchiment de capitaux pendant lequel je dois intervenir, le Parlement débat de la mémoire européenne. J’assiste au déferlement des bonnes intentions et des bons sentiments. L’Europe n’est qu’ouverture, démocratie, liberté. Et elle est devenue ce qu’elle est contre les nationalismes et les fascismes, aimablement confondus, contre toutes les censures, contre toutes les discriminations ethniques, religieuses, etc. Chaque tirade répète les mêmes invectives contre les extrémismes, les nationalismes et les anti-européens — suivez mon regard… Non inscrit au débat, je ne peux répondre, et à quoi bon ?
À quoi bon rappeler que le nazisme est un anti-nationalisme, Hitler déclarant que la Nation est le contraire de l’idéal de pureté raciale, puisque la nationalité prétend être au-delà des différences ethniques et religieuses ? Pourquoi rappeler que les Résistants ont pris les armes au nom de la France, leur patrie, pas de l’humanitarisme béat à quoi se réduisent tous les discours ? À quoi bon rappeler que l’Union européenne, la France en particulier, réduit de plus en plus la liberté d’expression, et fait d’une opinion un délit, alors que les Lumières sont nées du refus de toute censure, porté par Pierre Bayle et Spinoza au nom de « la lumière naturelle de la Raison » ?
Que l’Union européenne en est au point de créer un délit de blasphème, sur le modèle de la loi pakistanaise qui permet de condamner des milliers de chrétiens et vaut la peine de mort prononcée contre Asia Bibi ? Et comment redire que la paix en Europe ne doit rien à l’Union européenne, fruit de la paix entre les Grands, fruit surtout de la décision de Churchill de procéder au rapatriement forcé de tous les Allemands ethniques dans les frontières de l’Allemagne de 1945 ? Les historiens estiment que l’affaire fit plus d’un demi-million de morts, dans l’hiver et sur les routes de la défaite nazie, Churchill déclarant dans un discours aux Communes qu’il acceptait le bilan « de gaieté de cœur » (1) ? Je trouverai le moyen d’y revenir.
Corruption et blanchiment au sein de l’Union
Mon intervention, vers les 9 heures du soir, porte sur la lutte contre le blanchiment. Nul n’est contre. Mais j’observe l’écart vécu par les entreprises entre des procédures opaques, inquisitoires, qui confèrent un pouvoir arbitraire à des responsables de la conformité injoignables et irresponsables, et cette banque danoise qui aurait blanchi plus de… 200 milliards, à ce jour sans poursuites et sans enquête connues. Je suis bien seul à dire que le blanchiment est l’enfant naturel de la liberté de mouvement des capitaux, acceptée par l’Union européenne au début des années 1990. Sans contrôle des capitaux, pas de lutte anti-blanchiment effective. Mais je souligne surtout le rôle des trusts et des fiducies, systèmes juridiques légaux qui permettent de réaliser toutes les opérations financières sans révéler l’identité de leur bénéficiaire final. Et je termine en rappelant qu’au sein de l’Union, du Luxembourg à Jersey, prospèrent sur le blanchiment et la corruption des places financières qui enregistrent par milliers des entreprises sans activité, protégées par des armées d’avocats, simples boîtes aux lettres des acteurs de la finance criminelle (2).
Ne pas oublier les chrétiens d’Orient, d’Asie et d’Afrique
Bouffée d’oxygène. Samedi matin, à Genève, je participe à une manifestation de défense des minorités religieuses persécutées au Pakistan. Devant les bâtiments du HCR et de l’ONU, aux côtés de militants chrétiens et hindous, je rappelle le drame vécu par les chrétiens en terre d’Islam. Je souligne l’écart ; les chrétiens coptes ont été attaqués, discriminés, victimes des terribles attentats d’avril et mai 2017, ils sont totalement soutenus par le gouvernement du maréchal Sissi. C’est l’inverse au Pakistan. Malgré les promesses du Président Jinnah, lors de la partition, en 1947, églises et temples sont attaqués, les minorités discriminées, beaucoup emprisonnées, battues ou tuées. Et je me souviens du prince des chanteurs soufis, vedette mondiale de la spiritualité islamique, assassiné voici deux ans parce que la musique est interdite par le Coran…
La question est sans fin, elle a hanté Edgard Morin ; jusqu’où faut-il tolérer l’intolérable ?
Hervé Juvin
- Les faits historiques sont rappelés dans « La Grande Séparation », Hervé Juvin, Gallimard, 2014
- Voir l’ouvrage bien informé du Commissaire Jean-François Gayraud, « La finance criminelle », Odile Jacob, 2016
23 septembre 2019
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