Non, il ne s’agit pas de ces murs opposés à l’invasion migratoire, que les uns réclament quand les autres les dénoncent, alors que tant de vies auraient été sauvées si les passeurs avaient été mis dès l’origine hors d’état de nuire, eux qui tirent des millions de dollars de victimes qu’ils attirent, qu’ils rançonnent et parfois, envoient à la mort.
Le dommage le plus irréparable provoqué par les révélations d’élus socialistes corrompus dans le Qatargate, que certains renomment le Marocgate, pourrait bien concerner un sujet d’une tout autre ampleur que la corruption, réelle ou supposée, de parlementaires européens qui font payer leurs votes par des puissances étrangères ; les relations de l’Union européenne avec le reste du monde.
Derrière les bonnes intentions dont sont pavées le Parlement européen et les institutions européennes, faut-il voir s’ouvrir l’enfer de l’isolement ? Derrière la volonté de rendre transparentes, contrôlées et publiques les relations des élus avec des représentants de puissances étrangères, faut-il voir la volonté de contrôler toute expression publique des députés européens, et la tentation d’une grande séparation entre les membres de l’Union européenne et de l’OTAN, le jardin à la française, et le reste du monde, la jungle sans foi ni loi dépeinte par Josep Borrell, avec laquelle aucun échange, aucune conversation, ne peuvent avoir lieu, avec laquelle la diplomatie parlementaire n’a plus sa place ? En clair ; les élus européens pourront-ils poursuivre la conversation vitale avec la Chine, l’Arabie Saoudite, l’Inde, la Russie ou l’Iran, comme avec Israël, le Liban ou l’Arménie ?
Le sujet dépasse l’obligation faite au Parlement de respecter la diversité des opinions, imposée par les Traités européens. Elle dépasse aussi les droits des députés, l’interdiction du mandat impératif, et les libertés privées si menacées par la barbarie qui monte. La diplomatie parlementaire est un vaste et important sujet, qui n’a pas toujours reçu l’attention qu’il devrait susciter, sans doute parce que les diplomates de profession ont peu de respect pour les amateurs changeants que sont à leurs yeux les élus. Chacun en connaissait les règles ; un élu ne critique jamais son pays devant des représentants étrangers, un élu représente son pays et pas son parti ou son projet politique, un élu participe à créer, maintenir ou faire progresser les relations avec tous les représentants de pays étrangers qu’il est conduit à rencontrer, quels qu’ils soient.
Et l’histoire en fournit maints exemples ; préserver des canaux de relation, même avec des adversaires, même avec des ennemis, même dans des situations de conflit ouvert, s’est avéré plus d’une fois précieux. Chacun le comprend lors de situations extrêmes, prises d’otage ou escalade militaire. Mais, plus simplement, c’est qu’il est utile de connaître ses ennemis comme ses amis, il est important d’entendre leurs raisons, leurs motifs et leurs buts. La paix, quelle qu’elle soit, suppose la conversation, quelle qu’elle soit. La sagesse historique est hélas inaudible, qui rappelle que les alliés d’aujourd’hui peuvent être les adversaires de demain, et les ennemis d’aujourd’hui, les alliés de demain. Et aussi, que les victimes d’hier sont souvent les bourreaux de demain.
Que les catégories du Bien et du Mal jamais n’ont aidé à la paix, quand les intérêts nationaux, quand l’abstention du jugement et l’éloignement ont si souvent obtenu cette paix qui procède de l’indifférence. L’expérience historique illustre à loisir les renversements d’alliances, les rapprochements impossibles, et ces stratégies indirectes qui inventent un ennemi à son ennemi… Et, dans cette tâche précieuse, parfois vitale, la diplomatie parlementaire, sous toutes ses formes, s’est maintes fois révélée précieuse. Parce qu’elle est diffuse et multiforme. Parce qu’elle échappe à la diplomatie des diplomates. Parce qu’elle est souvent fondée sur des relations interpersonnelles hors des institutions comme des partis. Et parce qu’elle permet à des élus d’interagir avec d’autres, élus, sur la base des préoccupations communes à tout politique, qui ne sont pas celles des diplomates. Le temps est venu où chacun le reconnaît ; heureusement que des Français ont conservé des relations avec la Syrie et le pouvoir de Bachar el Assad, comme d’autres entretiennent des relations proches avec Benyamin Netanyahou. Heureusement que d’autres poursuivent la conversation avec un Iran inentamable, inébranlable, comme l’écrit Gérard Chaliand. Au moment où la France devient le premier fournisseur d’armes à l’Inde, devant la Russie que la médiocrité de ses performances en Ukraine n’aide pas, chacun peut se réjouir que des Français aient entretenu des relations proches avec le BJP et Marendra Modi. Et comment ne pas voir que, face à l’hystérie montante, il sera bientôt précieux que des Français poursuivent avec la Chine et la Russie une conversation séculaire que les rides sur le cours du temps n’interrompront pas ?
Qu’en sera-t-il demain dans l’Union européenne ? La volonté de conformer, aligner, contrôler les relations des parlementaires européens avec les représentants de pays hors Union, hors OTAN, va-t-elle aboutir à une renationalisation de fait des relations extérieures des pays de l’Union ? Car l’affaire paraît entendue. Au nom de la lutte contre la corruption, au nom du respect des Droits de l’homme, au nom de la guerre contre la Russie et « l’Empire du Mal », des dispositions s’annoncent, qui équivaudraient à l’interdiction de fait de rencontrer, de dialoguer et d’échanger avec les représentants de pays non alignés. Un ancien diplomate israélien est frappé de sanctions parce qu’il a pris parti pour la Russie. Chaque session du Parlement voit des parlementaires rivaliser d’ardeur pour dénoncer les crimes de guerre russes, les crimes contre l’humanité chinois, indiens (voir le « documentaire » présenté par la BBC pour accuser le Premier Ministre Narendra Modi, au moment même où l’économie de l’Inde dépasse celle de la Grande-Bretagne !), iraniens, syriens, pakistanais, ou désormais, qataris et marocains, et demander des sanctions, des mises en accusation, et l’arrêt de toute relation avec… qui exactement ? Le reste du monde ?
Tous les pays qui n’ont pas voté les sanctions contre la Russie ? Tous les pays qui refusent de se voir imposer l’agenda woke, LGBTQI, les escroqueries vaccinales de la WHO, sa mise sous tutelle des souverainetés nationales, et, déjà, la cage numérique de la monnaie digitale de banque centrale ? En clair ; tous les pays qui représentent la diversité humaine, cette diversité qui est l’effet direct de la liberté des peuples à choisir leur gouvernement, leurs lois et leurs mœurs sur leur territoire, la liberté politique ?
La dérive des discours, des idées, et bientôt des textes, qui succèdent au scandale dit « Qatargate » qui met en cause le groupe des sociaux-démocrates au Parlement, la vice-présidente Eva Kaili et nombre d’élus socialistes, est à cet égard préoccupante. Les socialistes excellaient dans les leçons de morale. Pris la main dans le sac, les collaborateurs zélés de l’occupation américaine de l’Europe mettent en cause l’ensemble des parlementaires, et le statut même de l’élu européen. rien ne serait grave, si le dialogue avec les autres Nations, les autres continents et civilisations, ne se trouvait menacé. Combien sont-ils à dire que pour faire la paix, mieux vaut avoir un interlocuteur ? Que, pour négocier, et aussi, pour vaincre, mieux vaut connaître ceux qui sont en face ? Et qui oserait dire que, l’histoire européenne le prouve assez, les adversaires d’hier sont les alliés de demain, les coupables d’aujourd’hui sont les résistants célébrés de demain, et que la plus grande prudence s’impose à qui prétend juger de la paix ou de la guerre — après tout, l’Union elle-même n’est-elle pas le fruit de l’alliance franco-allemande, si improbable encore en 1950 ? Et le général de Gaulle n’a-t-il pas eu la force de tendre la main, à Strasbourg, au représentant d’une Allemagne que d’aucuns voulaient ramener à l’âge de pierre ?
Chacun peut rêver de devenir le Candide de Voltaire, de cultiver son jardin, de n’en pas sortir et de s’en tenir là. Mais tout le malheur du monde ne vient pas de ceux qui restent dans leur jardin, il vient de ceux qui convoitent les jardins des autres, se mêlent de leurs fleurs, de leurs fruits, et prétendent leur dire ce qu’ils doivent cultiver. Pour les prévenir, pour les identifier, pour les arrêter, mieux vaut les connaître. Si la conversation avec tous, tout le temps et partout, était le seul objet de la diplomatie parlementaire, elle aurait déjà bien rempli son objet, et servi par la paix par le premier moyen qui l’assure ; la connaissance mutuelle, l’intelligence de l’autre, le respect et l’apaisement entre civilisations. Quand la conversation s’étend, les armes s’éloignent.
Hervé Juvin
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