Le Parlement s’ancre à Bruxelles. Session plénière après session plénière, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, nous oublions Strasbourg. Raison de plus pour une plongée dans cette France qui n’occupe pas les unes, ne fait pas l’actualité, et se bat pour survivre.

Saint-Flour, Moulins, Le Puy, Meyrueis. Dans chaque ville, rencontre avec des acteurs locaux ; petits commerçants, hôteliers et restaurateurs surtout. Aucune prétention statistique ou analytique, mais trois constats qui méritent réflexion, au niveau local, national et aussi européen.

L’assistanat paie plus que le travail

D’abord, le travail. Ici et là, un élu local considère que près de la moitié de la population — la moitié ! – vit des différentes formes d’aides sociales, sans travailler, sans même se poser encore la question de chercher un emploi. La conclusion paraît aller de soi ; il n’y a pas d’offres d’emploi ! Vue par artisans, commerçants et restaurateurs, la conclusion ne va pas de soi. Dans chaque ville, lors de chaque rencontre, ils sont unanimes à considérer que la plus dangereuse chose à faire pour un « patron » est de recruter – et d’avoir à faire avec des salariés.

Les anecdotes s’égrènent. Ces ouvriers agricoles embauchés pour la saison, qui disparaissent au bout de cinq jours en envoyant un copain pour les remplacer — mais comment refaire les papiers pour l’Inspection du Travail ? L’apprenti coiffeuse qui vient quand elle a le temps et fait rater les rendez-vous des clientes. Les serveurs qui prétendent avoir une expérience qu’ils n’ont pas, les employés qui rêvent de rester en chômage partiel le reste de l’année. Aucun moyen de juger du bien-fondé des réclamations patronales, mais un constat vaut indice ; partout, des restaurateurs qui employaient deux, trois, cinq personnes aux cuisines et en salle, s’organisent pour travailler à deux – lui en cuisine, elle en salle, ou l’inverse.

Fermeture des centres-ville
De nombreux centres-villes souffrent du développement des grandes surfaces en périphérie. MAX BAUWENS/REA

Partout, à Meyrueis comme à Saint-Flour, je constate un repli malthusien ; de ce restaurateur qui préfère refuser des clients plutôt qu’embaucher à ce commerçant qui n’ouvre que le midi pour bien servir sa clientèle. Et je vois des clients désemparés de ne trouver aucune table à 13 h 30, d’autres qui attendent sans fin d’être placés et servis, des réceptions d’hôtel désertes et des téléphones qui sonnent dans le vide hors des heures de service ; l’offre ne rencontre pas la demande, la qualité de service s’effondre et le résultat est désolant pour tous, les clients mal servis, les commerçants en déficit, et l’assistance se répandant comme mode de vie majoritaire.

Pouvoir d’achat et coût du travail

Ensuite, le pouvoir d’achat. La question du pouvoir d’achat est là. Mais c’est moins la question de la pauvreté que celle de l’injustice. Travailler ne vaut pas le mal qu’on se donne. Payer un salaire ne vaut pas les risques que cela entraîne. Comment y voir clair ? S’il est un domaine où il serait intéressant de disposer de comparaisons entre Nations européennes, sincères et véridiques, non biaisées par les présupposés idéologiques ou les biais de propagande, c’est bien celui des rémunérations, du coût du travail et du pouvoir d’achat comparé du salaire minium et du cumul maximum des aides sociales. Inutile de le dire ; le discours unanime des petits patrons, commerçants, entrepreneurs, est qu’un écart décourageant s’est creusé entre le cumul des aides — parent isolé, aide au logement, RSA, etc. — et le revenu minimum. Ce n’est pas que l’un se rapproche de l’autre.

C’est que cette aide-coiffeuse, effectivement payée au SMIG, après avoir arrêté de travailler, est revenue narguer son ancienne patronne en lui démontrant que, sans travailler, mais mère isolée avec deux enfants à charge, un grand appartement fourni par la commune, elle gagnait plus que sa patronne ! Peu de mes interlocuteurs n’ont pas une histoire identique à raconter. Il paraît qu’un Président avait fait l’éloge de ceux qui se lèvent tôt. Il semble clair à les entendre que la France a choisi de faire le bonheur de ceux qui n’ont pas à se lever du tout. Elle achète ainsi la paix sociale. Elle n’achète pas le progrès ni l’unité.

Infographie Le Figaro, source OCDE

Les plans de relance démesurés de l’Union européenne

Enfin, les plans de relance. La Commission européenne s’est empressée de s’emparer du sujet, dans une habituelle course de vitesse contre les Nations. Et les milliards de s’ajouter aux milliards, 750 milliards d’euros pour le plan de la Commission, 1350 milliards d’euros engagés par la Banque centrale européenne !

De tout cet argent, mes interlocuteurs n’ont que faire. Ils pensent ne rien voir venir pour eux. Vertu paysanne ou isolement de « Gaulois réfractaires », ils font face seuls au choc économique et social de la pandémie de COVID19. Ils ne croient plus aux promesses. Et ils expliquent.

Même si le prêt garanti par l’Etat, le fameux « PGE » l’est à 90 %, les banques savent faire la fine bouche pour les 10 % restant — même si elles sont fort bien rémunérées pour le distribuer. Le chômage partiel, l’aide aux restaurateurs et petits commerçants ont fonctionné, mais personne n’y voit une solution durable. Il faudra bien payer tout ça un jour ! Quant aux aides régionales, aux aides européennes annoncées, la conviction est générale ; c’est réservé aux gros, à ceux qui ont un service comptable, des conseillers juridiques, ceux qui savent y faire avec les papiers – ou les applis. Comme d’habitude, le formalisme et la bureaucratie exercent leur effet d’éviction ; un petit patron préférera toujours aller voir ses clients plutôt que remplir des formulaires et des tableaux chiffrés !

Ursula von der Leyen à Bruxelles, le 15 avril 2020. JOHN THYS / AFP

Ils ne doutent pas des intentions. Ils ont expérimenté l’inadéquation totale des moyens à l’objectif. Et certains se demandent si le but n’est pas d’achever la liquidation du petit commerce, de l’entreprise familiale et des indépendants. D’en finir avec ce qui est local, qui a une histoire et qui tient à sa terre. Avec pour conséquence que ces centres-villes désertés, où seuls les chats se promènent après la tombée du jour, verront s’éteindre les dernières vitrines et les derniers cafés tabacs fermer boutique. Et que ce ne sera plus la terre qui meurt, ce seront les villes de France qui mourront à leur tour.

Que ceux qui doutent aillent faire un tour à l’automne, le soir, à Sedan ou à Langres, à Saint-Flour ou au Puy. Et qu’ils s’interrogent ; qu’ont-ils fait, ceux des Ardennes, de l’Auvergne ou du plateau, pour mériter ça ? Qu’ont fait ceux qu’ils ont élus, pour laisser la France à l’abandon ?

Catégories : Economie

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