Tel qu’il s’est enflammé après les actions terroristes récentes, à Conflans Sainte Honorine, à Nice et à Vienne, le débat sur l’Islam, la laïcité, la liberté d’expression, le droit au blasphème, vire au combat – ou à la confusion ?
Islam & laïcité : La France abandonnée par ses partenaires
La France est en première ligne, avec des propositions baroques, comme la création d’un Guantanamo français, avec des déclarations imprudentes, comme ces déclarations de guerre tous azimuts qui oublient de dire qui est l’ennemi – le terrorisme ? l’Islam ? la religion ? Avec des contradictions éclatantes surtout. Car un gouvernement français uni dans la célébration de la liberté d’expression à l’extérieur est celui qui aura réduit la liberté d’opinion et d’expression des Français dans des proportions, inédites.
Car un Président déclare « ils ne passeront pas ! » au moment même où son parti, LREM, promeut au Parlement européen, sous le nom de « Renew ‘ , un pacte sur les migrations calqué sur l’accord de Marrakech qui reconnaît un droit inconditionnel aux migrations, et au passage, interdit toute pression sur les pays d’origine pour qu’ils réadmettent leurs citoyens illégalement entrés sur le territoire d’un Etat membre de l’Union européenne ! Contradiction enfin entre les expressions martiales dirigées contre la Turquie, et les milliards d’euros que l’Union européenne verse chaque année, au nom des négociations de préadhésion, au nom de l’aide, au nom du financement de la rétention des migrants, etc., à une Turquie qui aurait tort de se gêner. Est-ce la raison ?
A l’exception du Danemark, les manifestations fortes de soutien d’autres pays européens ont fait défaut à la France, comme elles avaient fait défaut lors de l’agression turque en Méditerranée. Dans le monde, les manifestations hostiles, parfois violentes, ont de loin dépassé des soutiens accordés du bout des lèvres, et l’on se souvient que le New York Times notamment avait déclaré qu’il n’aurait pas publié les caricatures de Mahomet. De quoi tempérer les affirmations guerrières sur la France, avant garde du camp du Bien ; nous nous retrouvons bien seuls, et cherchons nos alliés.
Islam et laïcité : discours incompris
Est-ce la raison de leur prudence ? Le débat est de ceux qui peuvent durablement empoisonner la vie publique. En France comme en Europe, combien devraient tourner sept fois leur langue dans leur bouche avant de s’exprimer sur l’Islam, la religion, et la laïcité ! Et quoi de plus comique que ces professeurs en théologie islamique qu’ont été tour à tour Barack Obama, François Hollande, ou plus récemment sur Al Jazeera, Emmanuel Macron, expliquant aux Musulmans ce qu’est leur religion, et comment elle n’a d’autre futur que de se dissoudre dans la modernité ! Si l’histoire nous enseigne quelque chose, c’est bien la complexité des relations entre les Nations et les religions, et la fragilité permanente des relations établies entre elles.
Depuis des millénaires, ces deux formes premières des sociétés humaines que sont la religion et le politique se côtoient, s’affrontent, se confondent ou se séparent. Ce serait folie de croire que la loi de 1905 a mis fin à cette histoire-là ! La laïcité française elle-même n’est pas tombée du ciel, c’est l’héritage direct de la religion catholique, et d’accords historiquement construits avec les citoyens français de confession juive ( Clermont-Tonnerre déjà, pendant la révolution) et avec les citoyens français de confession protestante. Son objet essentiel était d’enlever aux religieux le monopole de l’éducation des filles ; il n’est pas inutile de rappeler que l’Islam n’a jamais été partie prenante au débat, et qu’il a été tenu hors du pacte républicain, y compris dans les départements français où il était majoritaire, comme en Algérie, y compris dans les territoires sous mandat français qui étaient de fait terres d’Islam, comme la Syrie ou le Maroc.
Ajoutons qu’un esprit malin pourrait souligner qu’accepter la laïcité à la française n’a pas été un bon choix pour une religion catholique qui, si elle imprègne la vie publique d’autant plus profondément qu’elle est à peu près invisible, a abandonné dans sa trajectoire à peu près tout ce qui faisait d’elle une religion, jusqu’à se plier aux interdictions actuelles du culte du dimanche.
Il n’existe pas une somme d’individus
Chacun sait bien, ou sent bien, que le débat sur le terrorisme en cache un autre, combien plus important pour les années à venir, et qui est celui des relations entre l’Islam et la France, une question que n’épuise pas la question des relations entre les citoyens de religion musulmane et la citoyenneté française. Tout devait aller de soi, sous l’égide de l’individualisme radical qui fait le fond de l’idéologie européenne ; qui a parlé d’Islam en France, il n’y a que des individus de droit, il n’y a rien à voir du côté des désignations collectives, ethniques ou religieuses, prétextes à discriminations, exclusions, etc. Chacun voit bien que tout ne va pas de soi, que religion comme origine résistent à leur dépassement par le droit, et que la présence en France et en Europe d’une population qui fait de l’Islam sa loi et le premier élément de son identité n’est pas qu’une invention de l’islamophobie.
Revenons sur le déni qui obscurcit la question, celle de nos relations avec l’Islam comme avec bien d’autres. Le dogme d’un individualisme délirant veut que les millions d’Africains, Chinois, Asiatiques et Musulmans installés en France depuis les années 1960 ne soient que des individus. Ils ont des droits, c’est toute leur identité, et elle en finit avec toute autre ! L’arrivée sur le sol français, dans l’Union européenne, produirait ce miracle ; ils étaient Bambaras, Peuls ou Bantous, Musulmans ou Evangélistes, ce ne sont plus que des individus convertis à la laïcité, la tolérance et l’indifférence religieuse ! Dans sa première intervention au Parlement européen, Mme Van der Leyen a sacrifié au dogme ; qu’il est aisé de faire d’un réfugié syrien un bon Allemand comme les autres ! C’est faire beaucoup de cas de la capacité d’assimilation française, ou allemande, et bien peu de cas de religions, d’identités et de cultures dont rien ne s’oublie aisément !
Les grandes religions ont plus d’un millénaire derrière elles ; peu de Nations peuvent en dire autant, et s’il fallait parier sur leur pérennité respective, mieux vaudrait y penser à deux fois ! Pour le dire comme Pierre Manent, à ces millions de Musulmans qu’on est d’abord venu chercher chez eux (avant le regroupement familial, et même après…), rien n’a été demandé, aucune exigence de nature religieuse n’a été imposée, et il n’est pas tout à fait malvenu de leur part de protester aujourd’hui contre une laïcité de combat qui se réveille, si tard, et bien tard !
Et il faut bien ajouter qu’un individualisme naïf aura été le pire ennemi de la France, en interdisant ce constat d’évidence ; quand un million d’Hindous, de Musulmans, ou de Martiens, s’installent en France, il est faux aussi bien que méprisant de considérer que c’est un millions de fois un individu ! Car ils apportent avec eux leur identité, leur croyance, leurs mœurs, leurs lois, et l’oublier ne témoigne pas d’un grand respect pour ces appartenances et ces liens qui font leur dignité !
Le monde a changé
Car la carte a changé. C’est l’autre point décisif de l’affaire, dont la France ne sort pas grandie. Serons-nous les derniers à répéter les slogans d’un individualisme triomphant, d’une sortie de la religion et d’une universalisation des droits individuels partout et violemment en recul dans le monde ? Car il est bien que la France explique à l’Islam sa vision des choses, il serait plus utile que la France regarde en face la vision que l’Islam, plus concrètement ; les pays à majorité de population musulmane, porte sur elle. Et de ces futurs géants économiques que sont l’Indonésie et la Malaisie, jusqu’à ces proches turbulents que sont la Turquie et demain, la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest, le regard n’a rien d’aimable, et la posture de donneuse de leçons de la France, tout simplement insupportable.
Que cela nous plaise ou non, ce n’est pas la laïcité qui gagne dans le monde, encore moins cette laïcité à la française qui se veut une croyance contre la religion. De l’Afrique de l’Ouest à ‘Asie du Sud-Est et des villes de France aux confins de l’Europe, c’est l’Islam qui gagne, c’est ici où là l’orthodoxie qui renaît, les évangélistes qui prolifèrent, voire l’empreinte chrétienne qui se réveille. Devant cette situation de retour du religieux, la France est mal armée, et d’abord parce que ses dirigeants se veulent émancipés de toute religion, au point d’afficher une ignorance radicale des symboles, des rites, des dogmes, et un vide spirituel plus abyssal encore – certains semblant croire que l’Union de l’Europe donne un sens à la vie !
Le compagnonnage millénaire avec la chrétienté rend le sujet peu sensible ; le voulant ou non, la majorité de nos dirigeants sont encore tout frottés de Bible et d’Evangile, peu importe qu’ils y croient ou non. L’ignorance du fait religieux devient problématique quand elle se confronte à cet inconnu qu’est l’Islam.
Car l’Islam est tout ce qu’une religion peut être, et d’abord une Loi, venue de Dieu par son prophète, et qui dit tout dans tous les domaines de ce que doit être la vie du croyant – qui impose à tous le modèle d’une vie bonne. Rien ne saurait être plus étranger, plus contraire aussi, à une société qui fait des droits individuels la clé de son fonctionnement, et qui repousse avec horreur l’idée que l’Etat, la religion et la politique aient quelque chose à dire sur les choix de vie individuels ! La tentation récente de résoudre tous les problèmes en interdisant d’en parler n’aide pas, quand la lutte contre l’islamophobie sert à interdire tout débat sur l’Islam, avec l’effet pervers de séparer ce qu’il faudrait réunir – quand seuls les Musulmans peuvent parler de l’Islam, c’est la France qui se réduit au silence ! Et le sujet décisif de la confrontation d’une Loi religieuse, constitutive d’une identité collective forte, et d’une société qui prétend assurer l’autonomie de chaque individu, ne sera jamais traité, pour le plus malheur des uns et des autres, s’il est placé sous la menace de la censure, du tribunal, et sous l’égide du non-dit !
Voilà de quoi replacer le sujet de la lutte contre le terrorisme dans une toute autre perspective. Car il y a bien question sur les relations entre l’Islam et la France, et nul ne gagne à nier la question ou à la rendre impossible. Car la réalité d’un Islam en France est là, quand la perspective d’un Islam de France reste dans les discours. Car nous n’éviterons pas la réciprocité du scandale ; scandale que la loi de Dieu pour les Français laïcs, scandale du blasphème et des transgressions de la Loi pour les Musulmans. Car nous n’éviterons pas davantage ce constat ; qu’ils soient 6 ou 8 millions n’y change pas grand-chose, les citoyens français de religion musulmane sont une part significative de la population française, ils vivent et vivront en France, et c’est avec eux que nous devons ouvrir la voie qui fera d’eux des Français de France. Enfin et surtout, ce ne sont pas les leçons de modernisation données à l’Islam qui feront changer les choses ; les Français feraient mieux d’agir sur ce qui est en leur pouvoir, pour rendre à la Nation ces facteurs d’unité que sont la langue française, l’histoire de France, la fierté du drapeau et du patrimoine national, et redonner à la France l’attrait de l’indépendance et du non alignement, afin que si elle ne convertit ni ne rallie le monde de l’Islam, elle puisse au moins susciter son respect.
Hervé Juvin
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