Les Français devaient-ils ou non être consultés sur un traité d’Aix-la-Chapelle qui, sous couvert d’amitié, engage une intégration franco-allemande, et suscite perplexité ou inquiétude ailleurs en Europe ? Doivent-ils se prononcer sur une évolution de l’Allemagne qui interroge l’Europe, la France, et nos libertés ?
Le Président Emmanuel Macron a répondu « non ». Quand il a signé le traité d’Aix-la-Chapelle, le 22 janvier 2019, il s’est bien gardé de consulter les Français au sujet d’un traité qu’ils n’auront pu découvrir que le 18 janvier précédent, sans aucun moyen de faire entendre leurs commentaires ou de donner leur avis. Et quand sa lettre aux Européens a reçu de la nouvelle Présidente de la CDU, possible future chancelière allemande, Annegret Karren-Krampbauer, une fin de non-recevoir, les Français n’en ont rien su. Voilà que se confirme une dérive inquiétante de la pratique présidentielle ; pas question de consulter les Français sur l’essentiel, amusons-les avec un débat manipulé, signons des textes qui les engagent sans qu’ils les lisent, et le tour sera joué !
Il y a eu le referendum sur la Constitution européenne en 2005, qui a vu le refus démocratique des Néerlandais et des Français bafoué quelques années plus tard par la signature du Pacte de Lisbonne. Il y a eu le Pacte honteux de Marrakech, signé en catimini en janvier 2019, par des gouvernements européens conscients de bafouer la volonté de leurs peuples et de sacrifier l’identité européenne à la piété immigrationniste. Il y aura en plus le traité d’Aix-la-Chapelle, négation de l’esprit européen, et transgression de la lettre et de l’esprit de la Constitution de 1958 (1), qui fait du Président de la République le garant de l’intégrité du territoire (art. 3) et de son identité (art 5). Et s’y ajoute la lettre aux Européens du Président Emmanuel Macron, exemple d’une arrogance française que le réalisme allemand a vite remis à sa place.
Passons sur les détails. Mais enfin… Est-ce vraiment pertinent d’inciter les enfants français à apprendre l’allemand, une langue qui ne fait pas partie des langues officielles à l’ONU, qui n’est parlée que par les Allemands dans leurs frontières et qui n’a aucune perspective de diffusion à l’extérieur de l’Allemagne ? Qu’est-ce que ces « eurorégions » dont le Conseil d’État vient de dire qu’elles n’avaient pas d’existence en droit français ? Il est peut-être légitime de prendre dans maints domaines l’Allemagne comme référence. Mais pourquoi elle seule, pourquoi pas l’Italie, ou la Grande-Bretagne, ou la Suisse ? Et pourquoi ne pas avoir soumis aux Français le texte d’un traité qui entend renouveler le premier traité de l’Élysée, signé par le chancelier Conrad Adenauer et le général de Gaulle ?
Les auteurs d’une rédaction approximative et de raccourcis audacieux savent bien pourquoi. Débattu, analysé, sorti de l’ombre, il aurait nourri un débat public de nature à aviver les craintes de ceux qui pensent que le mandat de la République en Marche est d’en finir avec la France, son indépendance, sa singularité, et ses libertés. Il est vrai que la diffusion du texte du Traité aurait tout aussi bien pu alerter les tenants d’une Union européenne qui ne voient pas sans peur le Brexit laisser place à un directoire franco-allemand, et à une codécision allemande et française très éloignée de l’esprit des institutions et de l’Union (d’ailleurs, un « groupe du Nord », associant à l’initiative des Pays Bas, pays nordiques, États baltes et Autriche, aurait fait part de sa préoccupation à la chancelière).
Et surtout, l’étude des effets possibles du traité sur la défense et la sécurité de la France, comme sur sa place dans le monde, aurait appelé des alertes dont le gouvernement n’a pas besoin. Voilà pourquoi le coup s’est joué en douce, voilà pourquoi il est urgent de concentrer notre attention sur les impacts du traité du 22 janvier 2019 sur la politique extérieure et de Défense de la France.
Le Traité d’Aix-la-Chapelle : un cadeau sans contrepartie ?
45 s’efface. Les Français doivent se réveiller. L’Allemagne vaincue, l’Allemagne occupée, l’Allemagne contrite, n’est plus. Elle fait place à une Allemagne consciente qu’à sa réussite industrielle et monétaire, elle doit ajouter la puissance diplomatique et militaire, qui seules lui garantiront une place dans le monde du XXIe siècle. Pour y parvenir, elle doit réussir une Europe allemande. Elle doit donc dessaisir la France des attributs, uniques en Europe, de souveraineté et de puissance que le génie du général de Gaulle lui a assurés.
La construction européenne serait-elle la version XXIe siècle du projet impérial allemand ? Même si la dynamique du peuple allemand a été brisée jusqu’à s’accommoder du naufrage démographique actuel, même si l’armée allemande manque encore tragiquement de tout ce qui peut faire une armée, donc une politique (comme le professeur de stratégie israélien, M. Van Creveld l’a si souvent et si durement observé), la question est pertinente. Et elle est actuelle. Le traité d’Aix la rend actuelle. Et la réponse de la Présidente de la CDU, future chancelière et gardienne du traité de coalition allemand, le 9 mars dernier, à la lettre du Président Emmanuel Macron, la rend plus actuelle encore.
Derrière la rhétorique européenne de rigueur, la réalité du Traité est que la France, membre du Conseil de Sécurité des Nations Unies, détentrice de la puissance nucléaire, admise à s’asseoir aux côtés des vainqueurs de l’Allemagne nazie, s’abaisse au niveau d’une Allemagne, que l’histoire condamne à la dépendance stratégique et à un pacifisme stérilisant. Les interlocuteurs stratégiques naturels de la France sont les autres puissances nucléaires mondiales ; la Grande-Bretagne, la Russie, les États-Unis, la Chine. L’Allemagne n’en fait pas partie. Elle n’a pas de diplomatie mondiale, elle n’a pas d’empreinte sur d’autres continents, ses capacités militaires sont sévèrement limitées et ses interventions extérieures soumises à d’infinies précautions qui les rendent en fait inopérantes.
Cette situation directement issue de la Seconde Guerre Mondiale contraste avec la surpuissance commerciale et industrielle allemande, et suscite bien des tentations, notamment celle d’obtenir un siège au Conseil de Sécurité. Constamment déboutées par une diplomatie française pour une fois consistante, elles semblent désormais trouver un accueil plus favorable. Le gouvernement de M. Emmanuel Macron aurait-il l’idée de troquer un coup de pouce au statut international de l’Allemagne contre quelques facilités budgétaires ou industrielles pour une France qui décroche ? Un accord économique et commercial secret serait-il la contrepartie du Traité d’Aix ?
Avec une cohérence notable, à la fois Heiko Haas, ministre allemand des Affaires Etrangères, et le vice-chancelier Olaf Scholz ont au cours des mois derniers appelé à un nouvel ordre mondial porté par l’Europe, à une Défense européenne mieux assurée, et aussi à l’obtention par l’Allemagne d’un siège au Conseil, ou à tout le moins, au partage du siège de la France au Conseil de Sécurité des Nations Unies avec l’Union européenne (2). Les circonstances s’y prêtent, l’Allemagne bénéficiant d’un siège d’observateur au Conseil de Sécurité pour deux ans, à partir de 2019. Mais faut-il que la France joue le jeu allemand comme le traité d’Aix-la-Chapelle l’engage à le faire ? Pourquoi l’entrée de l’Allemagne au Conseil de Sécurité des Nations-Unies serait-elle « une priorité de la diplomatie franco-allemande », comme le stipule le traité ? Est-ce une réelle priorité pour la France que d’abandonner, parmi les membres de l’Union, le monopole d’un siège au Conseil de Sécurité que lui confère le retrait britannique du Brexit ?
La France, comme l’y engage le principe de concertation systématique prévu dans le Traité, devra-t-elle soumettre ses votes au Conseil de Sécurité à un droit de veto allemand préalable ? Devra-t-elle dorénavant subordonner ses relations avec d’autres pays dans le monde à une Allemagne qui n’a ni présence outre-mer, ni domaine maritime dans les trois océans, ni légitimité d’aucune sorte à parler à l’Afrique, à l’Amérique latine ou à l’Asie ? Serait-ce le vrai projet du Président Emmanuel Macron, ou de ceux qui lui en ont donné mandat ; donner à l’Allemagne dans la paix ce qu’elle n’a pas conquis par la guerre, et sortir de son impuissance à diriger la France en lui donnant un Gauleiter allemand ?
Car M. Olaf Scholtz avait été on ne peut plus clair, en répondant au projet français d’instituer un ministre franco-allemand de l’économie ; « un ministre allemand de l’économie sera un ministre allemand de l’économie ; nous ne pouvons ni ne voulons payer pour tous » (3). Quelques mois plus tôt, Wolfgang Schauble, dans un discours à la Brookings Institution, avait déploré que personne ne puisse obliger le Parlement français à adopter les réformes allemandes ! Voilà qui devrait sonner la fin de la partie pour la France. Être Français, être Européen, c’est aussi décider que l’Allemagne ne fait pas la loi en Europe et qu’elle ne la fera pas en France.
Une sujétion consentie
Le traité signé le 22 janvier dernier a donné l’occasion de célébrer la grande amitié franco-allemande, une amitié dont chacun est bien ennuyé de trouver des preuves récentes, l’occasion aussi d’en appeler aux mânes du général de Gaulle. Bien à tort.
Car l’histoire du traité de l’Élysée est tout sauf celle d’une histoire d’amitié sincère. Le traité était voulu par la France pour initier une défense européenne hors de l’OTAN, dans la perspective de renforcer l’indépendance du continent ; mais la signature du chancelier allemand n’engageait que lui. Le traité devait être approuvé par la chambre des députés, le Bundestag, et arriva ce qui devait arriver ; l’ajout unilatéral par le Bundestag d’une mention à l’OTAN rétablit la dépendance européenne à l’égard des États-Unis, et ouvrait un processus au bout duquel la protection du marché intérieur fut vidée de son sens par le lien atlantique (4). Dès l’année suivante, le chancelier Konrad Adenauer connut la fin de sa longue carrière politique. Le général de Gaulle se tourna vers le grand large, là où il avait les mains libres, et ce fut la suite glorieuse de la reconnaissance de la Chine populaire, de l’appel au Québec libre, etc.
Sous de tels auspices, qu’attendre 55 ans plus tard de la version 2 d’un traité vidé de son sens par la soumission allemande aux États-Unis et par l’absence de soutien populaire, en France du moins ? Rien, sinon un pas de plus dans l’abandon de la souveraineté de la France en matière de Défense et de politique extérieure.
La lecture du texte du traité indique que toute intervention extérieure sera désormais soumise à l’accord allemand, donc en pratique (ce que le texte ne dit pas) au vote du Bundestag. Elle se heurtera donc au traité de coalition allemand, le SPD pacifiste refusant a priori tout accord et toute exportation d’armements. Autant dire que notre industrie française de l’armement, comme notre indépendance nucléaire, vont souffrir du nouveau cadre que l’Allemagne entend instituer. Autant dire que la capacité française à être le premier entrant sur un théâtre d’opérations, largement due à la rusticité de ses forces et à ce qui lui reste d’indépendance logistique, sera compromise.
Rappelons que l’armée allemande s’est illustrée en refusant toute aide logistique, et même l’accès à ses avions de transport, aux troupes françaises intervenant au Mali ! Autant dire aussi que les acteurs politiques que la capacité d’intervention rapide de la France arrête dans leurs ambitions de coup d’État ou d’agression armée se sentiront rassurés ; tant de choses pourront se passer avant que le Bundestag autorise le Président français à donner le feu vert aux soldats ! C’en est bien fini des paras sautant sur Kolwezi, des chars bloqués à portée du palais du Président tchadien, ou de putschistes arrêtés avant d’arriver au centre de Bangui !
Et la lettre de la nouvelle présidente de la CDU met les choses au clair ; évoquant un projet de porte-avion franco-allemand, comme l’ambitieux projet de défense aérienne SCAR, et pourquoi pas un projet de sous-marin franco-allemand, elle lie les vecteurs nucléaires de la France, ses entreprises et ses exportations d’armement au veto allemand, avec un regard en coin sur la capacité nucléaire française. La lettre de Mme Annegret est limpide ; d’une coopération bilatérale franco-allemande où la France est leader, l’Allemagne fait un ensemble multilatéral où les entreprises françaises, comme Dassault, seront diluées, et où, à la fin, c’est l’Allemagne qui gagne !
Pourquoi cette reddition ? Les autres États membres de l’Union peuvent à bon droit s’étonner d’une telle capacité donnée à l’Allemagne, et aussi s’interroger sur des contreparties qui n’apparaissent pas dans le texte — lesquelles ? Les citoyens français, et plus encore les forces de Défense et de Sécurité, peuvent eux s’alarmer d’une situation où des officiers allemands commandent déjà des troupes françaises, où des forces françaises éprouvées sur vingt théâtres d’opérations au cours des dix dernières années, devront rendre compte à des militaires allemands syndiqués, incapables d’intervenir sans l’air conditionné et l’avis de leurs délégués du personnel !
Les drames européens du XXe siècle ont pour cause principale une Allemagne qui a toujours été trop forte pour ce qu’elle avait de faible, trop faible pour ce qu’elle avait de fort ; faut-il vraiment que la France place son destin entre les mains d’une puissance qui n’a toujours pas trouvé sa forme politique, et dont le rêve de moins en moins caché est que l’Union européenne lui permette de réaliser le Saint Empire Romain Germanique ? Que des policiers allemands puissent participer à des opérations de maintien de l’ordre en territoire français est un symbole qu’il n’était pas besoin d’agiter dans un traité oublieux de l’histoire, qui va réveiller bien des images dans la France résistante, la seule France.
Une dépendance industrielle
Inquiétant pour ce qu’il dit, et cherche à ne pas dire, le traité l’est tout autant parce qu’il ne dit pas. Depuis le traité de Saint-Malo, puis les accords de Lancaster House, la coopération franco-britannique dans le domaine de la Défense et de la sécurité est essentielle, consistante, et mutuellement bénéfique. L’ancien « D » du MI6, Richard Dearlove, vient de le rappeler (10 janvier 2019) ; un Brexit « dur » pourrait paradoxalement être favorable à la sécurité britannique, en libérant la coopération avec la France des contraintes que lui imposait une Union qui vise à la supranationalité et voit d’un mauvais œil les coopérations intergouvernementales exclusives – comme celle que dessine le traité de l’Élysée saison 2.
Faudra-t-il désormais que les projets, les relations, les coopérations franco-britanniques soient conduits avec l’Allemagne, subordonnés à la consultation de l’Allemagne, voire à l’autorisation allemande ?
La situation est d’ores et déjà plus claire en matière d’industrie de Défense, et d’exportation d’armements. Le traité dessine une aventure obligée ; tout projet industriel dans ce domaine sera franco-allemand, l’Allemagne se réservant d’y inclure ses dépendances industrielles. Et voilà tout tracé l’avenir de nos patrouilleurs, de nos chars, de notre système d’opération aérienne combinant drones, avions de combat et missiles ! Le traité ne dit pas que l’histoire contraint l’Allemagne à une extrême prudence dans ses exportations d’armements, que l’inamovible trait de coalition donne tout pouvoir au SPD de bloquer tout vote au Bundestag sur ce sujet, et que toute contribution de composants allemands à du matériel français subordonnera nos exportations à l’autorisation allemande.
Comme si nous n’avions pas déjà assez de problèmes avec la règle ITAR (la présence du moindre composant américain contraint à obtenir l’autorisation américaine pour toute exportation, ce qui bloque aujourd’hui la vente des Rafales équipés du missile Meteor à l’Egypte !) pour ne pas nous ajouter une dépendance supplémentaire ! Que des coopérations franco-allemandes soient utiles, et profitables, les exemples du Milan, du Transall, d’Ariane, parmi et avant d’autres, le prouvent. Qu’elles puissent être nécessaires, comme d’ailleurs des coopérations avec l’Italie, la Grande-Bretagne ou la Suède, sans doute.
Mais en quoi est-il utile de se lier à une Allemagne habitée par un pacifisme obligé, tenue par des « Verts » ou des partis extrémistes qui n’ont et n’auront aucune raison de concéder quoi que ce soit à la France, une Allemagne héritière d’une vision européenne et mondiale antinationale totalement dépassée depuis que l’État Nation est la forme universelle de la modernité politique ? Qui croit vraiment à la parité, ou à la conduite française de projets comme SCAR, quand l’écart de puissance industrielle et financière ne cesse de grandir au profit de l’Allemagne, une Allemagne qui entend désormais se doter des volets politiques et militaires qui manquent à cette puissance (5) ?
Au cœur du débat
Pour tout Allemand, l’Union européenne n’est pas un sujet de choix politique, c’est une obligation de survie (6). C’est par l’Union européenne lui permettant de continuer l’Empire germanique que l’Allemagne peut échapper à cette fiction ; l’histoire allemande commence en 1945. C’est aussi au sein de l’Union européenne qu’elle peut opérer ce tour de passe-passe que réalisent l’école constitutionnaliste et, notamment, Jürgen Habermas quand, des crimes allemands du XXe siècle, ils tirent une paradoxale supériorité morale ; ayant connu le pire avec le nazisme, l’Allemagne serait appelée à l’éviter désormais à l’Europe (Wolfgang Schauble a souvent repris ce principe dit ; « de la prédestination par perversion »)! Et c’est ainsi que, faute d’avoir su construire un État Nation, bien dans ses frontières, assuré de sa stabilité et de son unité, l’Allemagne poursuit le rêve supranational, universaliste, ou fédéraliste, d’une Europe sans frontières, sans mesurer qu’elle se met et qu’elle met l’Europe à rebours de l’histoire (7).
Que va faire la France, exemple s’il en est d’État Nation stable et mature, dans la galère de l’inachèvement politique de l’Allemagne et de sa fuite en avant fédéraliste ? Comment va-t-elle réagir face à l’occupation allemande des institutions européennes qui se dessine avec insistance ? La lettre européenne d’Emmanuel Macron préfère insulter la Grande-Bretagne, qui choisit le grand large, plutôt que poser des limites à la revanche allemande. L’oubli de l’histoire se paie toujours, et combien, à l’Élysée ou ailleurs, connaissent l’Allemagne, pratiquent l’Allemagne, comprennent les ressorts de l’unité allemande ? L’apesanteur stratégique européenne et française se lit dans une lettre sans chair, sans pesanteur et sans mémoire. Pourquoi servir de tremplin à un fédéralisme continental qui n’est et ne peut être que la voie d’une Europe allemande ? Pourquoi surtout brader les vecteurs de l’indépendance stratégique de la France à une Allemagne en mal de puissance ?
Une Allemagne que son histoire condamne à chercher dans l’Europe le moyen de renouer avec un millénaire impérial (le Saint Empire romain germanique a fait durer de 960 à 1806 une expérience unique de fédéralisme continental), est bien loin d’une France plus grande dans le monde qu’elle ne le sait chez elle, d’une France qui continue de compter et de peser, d’une France qui pour la première fois depuis les guerres napoléoniennes dispose d’une supériorité militaire écrasante sur l’Allemagne, et pas seulement parce qu’elle dispose de l’arme nucléaire.
Il n’en est que plus étonnant de voir une Allemagne encore tenue à la réserve obtenir de la France tout ce qu’elle n’aurait pas osé demander, se rapprocher d’une stature internationale que rien ne lui confère, et même, commencer à regarder du côté de l’accès à la force nucléaire – sans aucun doute, pour mieux appeler ensuite à la dénucléarisation du monde, comme elle l’a déjà fait au grand dam de la France, d’Israël et de quelques autres. Il est bien étonnant aussi de constater l’absence de vision du Traité et son peu d’ouverture. Si un rapprochement entre Paris et Berlin, que certains voient se poursuivre jusqu’à Moscou, a un sens, si la position de l’Allemagne en faveur de Nord Stream et du maintien de relations d’échanges avec la Russie est positive, si certains entendent réviser la dépendance atlantique au profit de l’union du continent eurasiatique, pourquoi ne pas l’écrire, et pourquoi enfermer la France et l’Allemagne dans un pas de deux qui laisse nos partenaires européens sur le banc de touche ?
Le plus étonnant est de voir un Président français servir l’agenda de ceux qui rêvent d’en finir avec l’indépendance française et l’esprit national, pour une fuite en avant à rebours de l’histoire, du sentiment collectif et de l’intérêt de la France. Et sans doute, les Allemands sauraient-ils s’employer à réduire les Français à la soumission. Mais faut-il que celui qui « a échoué sur tout » (Marcel Gauchet, 8) fasse payer à ce prix ses échecs à la France ?
- Article de Heiko Haas in Handelsblatt Global, 24-11-2018 et conférence de Olaf Sholtz sur l’Union européenne, donnée à Berlin le 28-11-2018)
- Professeur Olivier Gohin, « Le traité d’Aix affecte la souveraineté française », Figarovox, 26-01-2019
- Suddeutsche Zeitung, 16 mars 2018
- Eric Branca, « L’Ami Américain », Perrin, 2017
- Charlemagne, « SCAF ; les positions réelles franco-allemandes » in Aerodéfense, n° 221
- Alexis Dirakis, « Les ressorts du consensus allemand sur l’Europe », Le Débat, nov-déc. 2017
- Wolfgang Shreeck, « L’Europe sous Merkel 4 ; un équilibre de l’impuissance », Le Débat, nov-déc. 2018.
- Le Soir, Bruxelles, 25 décembre 2018.
Hervé Juvin , Paris, le 12 mars 2019
0 commentaire