Le 10 février commence une semaine de Plénière à Strasbourg. Le Parlement va voter pour condamner le travail des enfants à Madagascar, pour condamner l’action des forces syriennes contre les terroristes retranchés à Idlib, pour condamner… que sais-je encore ? Le délire des bonnes intentions et des justes causes habite un Parlement qui se dispense pour lui-même de toute procédure contradictoire et de tout recours contre les décisions qu’il prend. Faites ce que je vous dis de faire, pas ce que je fais… est-il plus bel exemple de l’hypocrisie institutionnelle de l’Union ?
L’Union européenne contre les drapeaux nationaux
L’affaire des drapeaux nous donnera l’occasion d’y revenir. L’affaire est simple, et symbolique. Le règlement du Parlement interdit les bannières, les emblèmes, etc. dans l’hémicycle. Sans doute ; chacun a remarqué qu’une députée du groupe des Verts porte un T-shirt qui reproduit le drapeau européen, sans être inquiétée. Les députés français du groupe Identité et Démocratie ont choisi de placer leur drapeau sur leur pupitre, comme le faisaient les Britanniques du Brexit Party ; comme le font les députés allemands, autrichiens, finlandais et quelques autres.
Sans texte explicite, la Présidence du Parlement interdit la présence des drapeaux nationaux. Le 12 février, les huissiers relèvent les noms des contrevenants, qui sont menacés de se voir suspendre leurs indemnités journalières. Un recours est déposé. Nous verrons bien. Mais l’affaire n’est pas anecdotique. Le Parlement européen est-il le lieu où les élus des Nations européennes travaillent à mettre en commun ce qu’ils choisissent pour l’avenir de leur Nation, ou bien le lieu où les Nations disparaissent dans le grand tout européen ?
L’avenir du Parlement est-il à l’élection des députés sur des listes européennes, anationales, comme les européistes le proposent, comme le Président Macron l’a proposé, ou bien au dialogue et au partage des souverainetés nationales sur les sujets où cette souveraineté s’exerce ou se défend mieux au niveau européen ? La question n’est pas mince. Elle ne se résume pas à un débat entre pro et anti-européens.
Au-delà de l’aspect choquant d’une institution supranationale condamnant des citoyens qui affichent leur drapeau, j’ai de plus en plus cette conviction ; les vrais ennemis de l’Europe, ceux qui vont tout faire exploser, sont ceux qui en veulent toujours plus. Plus d’Union, plus d’ouverture des frontières, plus d’effacement des Nations, plus de CJUE, de directives et de votes à la majorité – et voilà le sûr moyen d’en finir avec l’Europe de l’Union ! Les vrais amis de l’Europe constatent que sur un nombre limité de sujets, et dans des proportions à débattre, les Nations seront plus libres, plus fortes et plus puissantes en mettant en commun des éléments de souveraineté. C’est évident pour la monnaie, pour la protection du marché intérieur, pour le numérique, ce devrait être évident pour la Défense, pour les systèmes de règlement internationaux, pour la concurrence, pour l’environnement. Autant le dire ; ceux qui portent leurs drapeaux au Parlement sont les vrais amis de l’Europe, qui ne sera pas si elle n’est pas l’Europe des Nations. C’était la conviction du général de Gaulle ; qu’a-t-on fait de mieux depuis ?
Traité UE Vietnam
Après le départ des députés britanniques, tout continue comme avant. La grande affaire de la semaine est le vote sur un accord de libre-échange avec le Vietnam. J’interviens le mardi 11 février pour rappeler deux évidences. D’abord que le moment est paradoxal ; la menace d’une pandémie mondiale issue du coronavirus illustre l’urgence d’un retour aux frontières, comme l’illustre le succès salué par l’OMS des mesures de cantonnement prises par la Chine — 150 millions de Chinois confinés dans leur ville, sans transport, sans activités, sans mobilité ! Le coronavirus n’est que l’une des maladies mortelles de la globalisation. La mise en quarantaine forcée des possibles porteurs du virus le rappelle, la séparation est vitale, frontière nous protège. Est-il bien sérieux de choisir le moment pour signer un traité de libre-échange avec le Vietnam ?
Le second argument est plus technique. Face à un pays de 100 millions d’habitants qui devient l’un des grands de l’Asie du Sud Est, qui imagine un instant que l’Union a les moyens de vérifier les processus de production, de contrôler les conditions de travail et les effets environnementaux, le respect des normes et des origines des produits ? La fable des accords de libre-échange est l’extension des principes et des normes européennes, la réalité est la course au moins-disant social, environnemental et fiscal – et l’élimination des PME trop petites pour monter des chaînes d’approvisionnement, les fameuses « supply chain » couvrant la planète. Sans surprise, contre notre vote, le principe de l’accord est adopté. Quelques voix se seront pourtant élevées pour rappeler le caractère autoritaire du régime vietnamien, le travail des détenus et l’emprisonnement arbitraire de journalistes, autant de faits dénoncés avec éclat dans l’enceinte du Parlement – mais ici, il est question de commerce, et chacun peut le constater ; quand le commerce est en jeu, le Parlement n’a plus de grands principes, il n’a qu’un principe ; que les affaires marchent !
Une crise qui s’aggrave en Allemagne
Tout est pareil, donc. Et pourtant, rien n’est plus pareil. C’est l’effet direct du départ des Britanniques ; l’illusion du couple franco-allemand éclate. Pour être un couple, il faut être deux. C’est tout seul, toujours tout seul, que le Président Emmanuel Macron multiplie les avances, les engagements et les offres, au point de menacer l’indépendance nucléaire de la France, au point de sacrifier ce qui reste de l’industrie française de défense et de son autonomie à l’export. Quel Français peut imaginer qu’un Allemand ait accès à l’arme nucléaire, quel Français peut accepter que les ventes d’armes françaises dépendent de l’autorisation du Parlement allemand ?
L’Allemagne reste aux abonnés absents face aux avances françaises, et même le Président Emmanuel Macron l’a reconnu lors du 56e sommet consacré à la sécurité, à Munich, samedi 15 février. La question va revenir à l’ordre du jour parce que les signaux s’accumulent ; l’Allemagne va mal. Le crime contre l’Europe et contre l’Allemagne perpétré par Mme Merkel quand elle a ouvert les frontières de l’Union européenne à 1 million de migrants n’a pas fini de se payer. Et l’Allemagne doit payer ce qu’elle fait subir aux autres pays de l’Union, qui sont impuissants devant les conséquences des accords de Schengen et l’arrivée de milliers de migrants dont l’Allemagne ne veut pas, ou qui ne veulent pas de l’Allemagne. L’élection en Thuringe d’un Président de région avec les voix conjointes de la CDU et de l’Afd et le scandale qui s’en est suivi, scandale fabriqué de toutes pièces par les ennemis de l’Allemagne et de l’Europe, scandale qui a valu le départ de la dauphine désignée d’Angela Merkel, « AKK », et une crise ouverte au sein de la CDU, illustre le fossé qui grandit entre des états-majors de plus en plus étrangers à leur peuple, et des électeurs qui veulent élire celles et ceux qui s’occupent d’eux – et d’abord, qui les défendent. En est-il autrement dans toute l’Europe ?
La crise va s’aggraver en Allemagne parce que l’un des fleurons de l’économie allemande, l’industrie automobile, est confrontée à une réalité qui va au-delà des problèmes de pollution de l’air ; l’automobile n’est plus et ne sera plus le moyen de la mobilité individuelle, l’automobile n’est plus et ne sera plus le marqueur social qu’elle était. L’industrie allemande s’est spécialisée dans les produits du XXe siècle, la CDU est une création artificielle d’un après-guerre qui s’efface et elle va s’effacer avec lui. La crise va s’aggraver parce que l’erreur que fut la sortie précipitée, irresponsable, du nucléaire civil, pèse lourdement sur les conditions de vie — l’explosion du coût de l’énergie est un fait politique et social majeur en Allemagne. Elle va s’aggraver parce que la prétention morale de l’Allemagne, cette « prédestination par le mal » dont Jurgen Habermas s’est fait le désastreux prophète, et qui veut que l’Allemagne, sortie du nazisme, ait vocation à enseigner à toute l’Europe la voie du salut, va s’effondrer devant la réalité de la corruption, de l’élitisme, et du contournement de la démocratie dont l’épisode de Thuringe est l’exemple – ils ont mal voté ? Qu’ils revotent ! Les malheurs de la Présidente de la Commission européenne, Mme Von der Leyen, entendue cinq heures durant par une Commission d’enquête allemande le 14 février, au sujet des commandes passées à des consultants lorsqu’elle était ministre de la Défense, les interrogations persistantes sur certains diplômes ou certains éléments controversés de sa biographie personnelle, ne font sans doute que commencer. Et le scandale vite étouffé que constitue la collaboration des services allemands avec l’occupant américain pour écouter leurs confrères européens ne sera pas toujours oublié.
La question est posée ; pourquoi la France, qui peut vivre un moment français de l’Europe si elle abandonne toute dérive fédéraliste, si elle engage la réforme des institutions et des traités pour créer l’Europe des Nations que les peuples appellent, pourquoi donc la France doit-elle s’entêter à réchauffer une relation avec une Allemagne qui tombe, quand le grand large appelle, et quand le monde avance sans l’Europe, loin de l’Europe, pour ne pas dire contre ses leçons, sa prétention et ses contradictions manifestes ?
Retour à Paris le vendredi 14 février. Pour une fois, il est difficile de rester silencieux sur les péripéties nationales. Le retrait par Benjamin Griveaux de sa candidature à l’élection à la Mairie de Paris est plus qu’un fait divers. Parce qu’il doit, ou devrait conduire à rappeler que ce sont des idées, des programmes, des projets, qui sont l’objet du combat politique, pas les femmes et les hommes qui les portent. La politique est un combat d’idées, de programmes, d’actions. Elle ne doit jamais transiger sur le respect des personnes, sauf en cas de trahison de l’intérêt national ou d’indignité manifeste. C’est la réalité de la politique de LREM, la destruction de l’État, la braderie de l’industrie et des territoires, le saccage des libertés publiques et de l’identité nationale qu’il faut combattre, pas celles et ceux qui en sont les porteurs, et dont certains sont bien loin de comprendre quels intérêts ils servent, et de quelle collaboration ils se font les complices.
Mais aussi, parce qu’une machine effrayante s’est mise en place en France, celle qui substitue la lutte contre le mal au débat politique. La tentation de remplacer le débat sur les programmes par la lutte entre le bien et le mal n’est pas d’hier, elle n’est pas seulement l’importation chez nous de l’hypocrite puritanisme américain, voilà trente-cinq ans qu’elle a faussé le débat politique français à l’initiative de Mitterrand et de SOS Racisme, quand tous les moyens ont été bons, du chantage aux menaces personnelles et de l’intimidation au racket, jusqu’aux interdictions professionnelles ou bancaires, pour couper la droite en deux, dresser les Français les uns contre les autres, accessoirement étouffer la juste revendication de la Marche des Beurs et assurer la fortune personnelle de quelques-uns que l’on voit encore pérorer devant les cameras.
Des milliers de Français ont été victimes d’une injuste persécution ; parce qu’ils étaient patriotes, qu’ils défendaient la France, son identité, sa civilisation. Qui sème la haine récolte la tempête. Les belles âmes qui l’ont semée ont beau jeu de s’indigner de l’ensauvagement qu’ils ont provoqué ; qu’en disaient-ils quand ce sont les militants du Front national, les patriotes, voire les policiers ou les gendarmes, qui étaient victimes de campagnes de haine, de dénonciations et de chantage, de harcèlement, de jugements iniques, voire de menaces et d’agressions ?
Benjamin Griveaux est la pitoyable victime d’une dégradation de la politique en morale, puis en moralisme. Il ne sera pas le dernier, et chaque citoyen devrait être conscient de la spirale de haine et de ressentiment qui gagne aujourd’hui un pays que la politique d’Emmanuel Macron a divisé comme jamais, une spirale qui menace désormais bien plus que des dirigeants de rencontre, des élus choisis sur CV, une spirale qui emporte et la France, et la République.
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