La rentrée parlementaire démarre fort ces 2, 3, 4 et 5 septembre — en commission notamment —, avec l’audition de Mme Christine Lagarde, candidate au poste de président de la Banque centrale européenne (BCE).
La doxa libérale de la commission INTA
Lundi et mardi, je suis en commission « Commerce International », INTA dans le jargon local. Longues auditions et questions sur les traités de libre-échange. Nous ne sommes pas dans le débat, mais dans la récitation du catéchisme libéral. La directrice générale du commerce à la Commission, Sabine Weyand, ne manque ni d’énergie, ni de compétence, ni même d’humour. Tant de qualités sont mises au service d’une mauvaise cause ; toujours plus d’accords de libre-échange, toujours plus de produits concernés, toujours moins d’exemptions ou de protections.
Des concessions verbales sont faites au « réchauffement climatique », ou à la lutte contre le travail des enfants. Elles ne sauraient remettre en cause des accords comme le CETA ou le Mercosur, clairement dévastateurs pour l’environnement. En clair, afficher ses bonnes intentions, et laisser aller les affaires. Et il est intéressant de voir les Verts adhérer massivement au credo du libre-échange, sous des conditionnalités illusoires, souscrire au monde des multinationales plutôt qu’à celui des peuples et des Nations, et détourner le pouvoir démocratique au profit des ONG, des Fondations et des administrations supranationales en proposant d’augmenter les budgets de l’Union.
La commission ECON : Zone euro, tout va bien Madame la Marquise
Même constat mercredi matin en commission des affaires économiques et monétaires, « ECON ». M. Enrique Enria, l’Italien qui préside le Conseil de surveillance de la Banque centrale européenne (BCE), affiche une compétence technique évidente. Je l’interroge sur la diversité des systèmes bancaires que remet en cause le dogme de l’uniformisation européenne. L’habile M. Enria se déclare tout à fait d’accord avec moi. La diversité est une bonne chose, mais il faut que les règles s’appliquent. Le dogme du marché unique, du « single playing field » ne peut être remis en cause, même s’il signifie la fin des Caisses d’épargne, des banques coopératives et mutuelles, des banques régionales et des banques publiques. En trente ans d’intimité avec elles, j’ai vu s’effacer la singularité des banques coopératives, disparaître la « banque régionale de plein exercice », avec elle la responsabilité territoriale et la gouvernance décentralisée, le tout au nom de la conformité, de la centralisation des risques, et du principe « je ne veux voir qu’une seule tête ». Qu’en pensent le Crédit Agricole, le Crédit Mutuel, les Banques populaires ? Débat à reprendre avec l’excellent M. Enria.
L’audition de Mme Christine Lagarde qui suit est tout aussi éclairante. Elle est candidate au poste de Président de la BCE, elle est française, elle n’est pas sectaire, est-il besoin d’ajouter qu’elle est femme ? Je lui souhaite la bienvenue, et l’interroge sur un point capital. Quels moyens va-t-elle mettre en œuvre pour faire de l’euro le moyen de l’indépendance des Nations européennes vis-à-vis des empires impitoyables dans la poursuite de leurs intérêts propres que sont les États-Unis et la Chine ? Elle me répond que l’un des effets de son mandat — assurer la stabilité des prix — doit faire de l’euro une monnaie de paiement d’échanges et de réserve largement diffusée. Elle ajoute que la situation est en train de changer, avec une domination du dollar moins assurée. Je n’aurai pas de réponse sur l’effondrement de la légitimité de notre système monétaire que peut entraîner la crise écologique, mais peu importe ; la plupart des orateurs colorent de vert leur propos ! Et Mme Lagarde de s’engager à verdir les financements, à corriger en vert les actifs de la BCE, à refuser l’emploi du jargon technique et des sigles, etc.
L’exercice est satisfaisant, mais de qui se moque-t-on ? Mme Lagarde n’exclut pas le recours à d’autres moyens de relance non conventionnels pour se rapprocher de l’objectif de 2 % de hausse des prix. Elle n’exclut donc pas « l’ helicopter money », la distribution d’argent directement sur les comptes des Européens pour les inciter à consommer plus, qui est une insulte à tout souci écologique. Accroitre la consommation des ménages pour sortir du marasme européen, dans l’état actuel du système logistique et de production globalisé, signifie plus de CO2, plus de transports, plus de pression sur les écosystèmes, donc plus de déforestation, d’énergie fossile, de pesticides et moins d’abeilles…
L’helicopter money est le dernier moyen qu’un système à bout de souffle emploie pour sacrifier le long terme au présent. Mais n’est-ce pas la fuite en avant de tout le système européen ? Quant à la « taxinomie » qui doit fournir la liste des investissements « verts » et condamner les autres, qui crie au casse-cou ? Toutes les manipulations sont derrière le manteau des bonnes intentions, qui peuvent condamner le nucléaire français, l’industrie de défense, et jusqu’aux agricultures traditionnelles. Les amendements des Verts allemands sont votés sans débat, présentés seulement en anglais pour plus de sûreté. La diversité des plantes et des insectes oui, mais l’uniformité des lois, schnell, schnell !
Un euro en sursis ?
À 18 heures, la commission ECON vote pour l’élection de Mme Largarde sans surprise, mais sans éclat. Nous ne devons pas nous tromper de combat. Le débat sur l’euro va reprendre. Il va reprendre alors que ses termes ont changé. Nous serons dans le « comment ? » et plus dans le « quoi ? » Comment améliorer, contrôler, renforcer, comment transformer le mandat de la BCE, assurer un contrôle démocratique sur ses décisions, comment réduire le biais allemand de la gouvernance monétaire européenne. Nous ne sommes plus dans le débat sur la sortie. Il reviendra. Mais le travail consiste à repartir sur des fondamentaux réalistes. Pourquoi ?
1) Les raisons politiques de contester l’indépendance des banques centrales, le mandat de la BCE exclusivement consacré à la stabilité des prix à l’exclusion d’objectifs d’emploi ou de croissance, et le pouvoir abusif abandonné aux financeurs des déficits publics (banques et fonds d’investissement) demeurent et se renforcent. La BCE bénéficie d’un pouvoir manifestement excessif, préfiguration d’une Europe fédérale dont les Européens ne veulent pas.
L’aimable Amélie de Montchalin peut bien essayer de mobiliser tous les think tanks et centres d’études généreusement financés par plusieurs ministères, des agences publiques, et par tout ce que le monde compte de multinationales attachées à en finir avec la démocratie, c’est Hubert Védrine qui a raison ; toutes les incitations à avancer vers une Europe fédérale ne font que susciter un peu plus la défiance des Français vis-à-vis d’une Union qui détruit la France. Et j’observe que les travaux académiques, aux États-Unis et ailleurs, se font de plus en plus critiques à l’égard de l’idéologie libérale qui a conduit à faire de l’indépendance des Banques centrales un dogme, et à assurer du même coup la domination totale des acteurs financiers sur la monnaie. Quelle plaisanterie d’entendre les « experts » faire du coût du travail et des « rigidités » du marché du travail le premier problème des pays européens, alors que c’est l’euro qui a accéléré la désindustrialisation et appauvri les classes moyennes, de manière spectaculaire en Italie comme en France !
2) Christine Lagarde prend soin de relativiser l’objectif des 2 % d’inflation, sans le remettre ouvertement en cause. Car enfin, que signifient ces 2 % sortis de nulle part ? Dans l’état actuel du système productif et de la richesse européenne, pourquoi pas 1 %, comme le suggère l’ancien gouverneur de la Banque de France, Jacques de la Rosière (1) ? Un objectif d’inflation irréaliste conduit la BCE à déployer des moyens non conventionnels qui tôt ou tard mettront en cause la crédibilité de la monnaie – et, accessoirement, du mandat de la BCE.
Il n’est pas pertinent de rappeler à ce sujet la légèreté avec laquelle le FMI a prêté plus de 50 milliards de dollars à l’Argentine, avec pour effet une crise économique qui secoue le pays. Il serait plus intéressant d’examiner les conditions de la nomination de M. Lane, ancien gouverneur de la Banque centrale d’Irlande, comme chief economist de la BCE, après que sa politique ait provoqué une bulle immobilière sans précédent en Irlande (2). Et aussi d’interroger ; est-ce dans le mandat de la BCE d’engager une politique sociale en Europe, ce à quoi se résume l’helicopter money, qui est en tous points proche de la création d’un revenu universel ?
3) La divergence des pays de la zone euro se poursuit. Désindustrialisation, stagnation des salaires, abandons des territoires en sont les symptômes. Derrière la réalité d’écarts qui deviennent insoutenables, et qui entraînent par exemple la dépopulation de l’Italie (moins 600 000 habitants, partis vers le Nord chercher un emploi), des cultures, des histoires et des structures sociales qui sont et resteront différentes. L’Union veut tout uniformiser, selon un catéchisme libéral que même le FMI abandonne. Elle ne fera pas des Italiens des Allemands comme les autres, ou des Grecs des Danois comme les autres. Si l’Union ne réforme pas en profondeur la gouvernance de l’euro et le mandat de la BCE, ce qui signifie revenir sur le traité de Maastricht, l’euro sera une tentative sans lendemain ; ma crainte est qu’avec lui, ce soit l’indépendance des Nations européennes qui subisse une nouvelle fois la loi des plus forts que sont la Chine et les États-Unis.
4) Je ne sais pas comment vit l’industrie de la gestion avec des taux d’intérêt négatifs. Qui le sait ? Par une singulière ironie de l’histoire, la lutte contre l’inflation qui a justifié pour l’essentiel l’édifice monétaire européen avec pour but affiché la protection de l’épargne, aboutit au résultat exactement identique à l’inflation ; appauvrir l’épargne. Bon courage à Christine Lagarde quand les épargnants des comptes sur livret, des obligations d’État et de l’assurance-vie, vont découvrir qu’il leur en coûte quelques points d’intérêt par an d’avoir épargné ! Et bon courage pour assurer une rentabilité minimale aux banques qui n’ont pas pu ou su diversifier leurs sources de revenu ! Quant au moment où chacun va juger plus sage de conserver son argent dans un coffre chez soi, il sera curieux de voir quels gouvernements oseront bannir les paiements en espèces pour préparer la confiscation de l’épargne privée !
5) L’euro devait être, il pourrait être le moyen de l’indépendance stratégique des Nations européennes. C’est la seule question qui compte. Elle n’a pas été posée. Mme Lagarde sera-t-elle porteuse d’une telle ambition, et de la vision qui la justifie ?
Hervé Juvin, le 13 septembre 2019
1— Le Cercle des Echos, jeudi 12 septembre 2019, « Comment sortir de l’impasse monétaire ? »
2 — American Affairs, février 2019, “What the new Irish houising bubble says about the EU technocracy?” Conor O’Grady
1 commentaire
Philippe du Roy de Blicquy · 12 octobre 2019 à 23 h 06 min
avec cette initiative d’Hervé Juvin, pour la 1ère fois on a connaissance de la façon dont les choses se passent au Parlement Européen; de la façon dont la bureaucratie l’emporte sur la démocratie; de la façon dont la sémantique tordue est une arme.
merci Hervé Juvin; je vous en conjure continuez à nourrir ainsi vos lecteurs et admirateurs