Première ministre en sursis, Élisabeth Borne fait part de la volonté de son gouvernement de conclure un nouveau contrat avec le monde rural. A-t-elle lu le Manifeste des Localistes ?
Le Président Emmanuel Macron, les gouvernements qu’il a choisis, le Premier ministre, ont un problème avec le monde rural. Croire qu’ils vont le résoudre avec quelques mesures tombées d’en haut, comme on fait l’aumône aux manants, les 180 mesures d’un projet passé, les 40 mesures du contrat annoncé, c’est se moquer. Car si les problèmes des habitants du monde rural sont bien réels et concrets, et si ce sont des problèmes de pouvoir d’achat, de sécurité, de santé, d’environnement, problèmes sociaux qui n’ont rien de si différent des problèmes des urbains, la question majeure posée par la ruralité est d’une tout autre nature. Elle a trait à l’identité de la France. Les riches et les puissants n’aiment la ruralité que le temps d’une chasse, d’un séjour à la campagne, ou d’une randonnée — comme spectacle et repos. Ils l’ignorent, quand ils ne la méprisent pas, cette France qui veut d’abord demeurer, ces Français qui veulent continuer la France, et qui votent Marine le Pen.
Les habitants de la ruralité, ceux qui travaillent, cultivent, vivent sur les terres de France, se savent méprisés. Ceux qui les ignorent 11 mois sur 12 les redécouvrent le temps d’une campagne électorale, pour les convaincre de « bien » voter, et se hâtent de rentrer dans leurs palais célébrer le Woke, la transculture, et le monde réduit à l’écran numérique. Les ruraux savent, et ils sentent, que tout est fait pour les villes, les grandes villes, ces métropoles qui se rêvent globales et se veulent sorties des Nations et de la France. Un habitant de Seine Saint Denis se voit attribué en moyenne, trois à quatre fois plus d’argent public qu’un habitant de l’Ardèche ou de Lozère.
Des transports en commun denses et gratuits aux logements et aux soins de santé tout aussi gratuits et proches, les conditions de vie des migrants qu’accueillent les métropoles bénéficient d’aides et de services publics, sans commune mesure avec les naufragés de la ruralité — allez en Ardèche, en Lozère, en Aveyron ; se déplacer, se soigner, se chauffer, tout y est plus difficile, plus coûteux, plus lent. Comment s’étonner que les uns ne pensent qu’à attirer leur fratrie, quand les autres se sentent laissés pour compte ?
Tout s’aggrave quand s’abattent des lois devenues folles, qui ajoutent au nom d’une écologie dévoyée à l’abandon l’expulsion. Comment comprendre que des « Verts » s’en prennent aux conditions de vie de la ruralité, quand c’est la métropole qui est une aberration écologique par l’artificialisation qu’elle exige ? Des millions de Français découvrent qu’ils ne pourront plus louer leur maison, leur appartement, qualifiés de « passoire thermique », sans des travaux coûteux, aléatoires, et hors de portée de beaucoup.
Quand les mêmes découvriront qu’ils ne peuvent plus vendre cette maison ou cet appartement faute d’effectuer les travaux d’isolation requis, aucune belle parole ne pourra éviter un sentiment de dépossession explosif dans un pays où la propriété a signifié liberté. Les mêmes se voient déjà interdire d’accès les centres-ville, et bientôt les agglomérations tout entières s’ils n’ont pas les moyens de changer leur vieux Diesel pour une Tesla. S’ils disposent d’un terrain, même au bout d’une voie non carrossable, ils doivent en assumer un entretien exigeant, sous peine de se voir refuser l’assurance — et l’écopâturage n’est pas la solution partout.
Et ils commencent à entendre qu’il leur faudra aussi changer leurs habitudes alimentaires, que la liberté de cultiver fruits et légumes, d’élever lapins et poules, sinon chèvres et cochons, pourrait bien se trouver réduite, tandis que les plus de 70 ans, soumis au contrôle périodique de leur permis de conduire, seront de fait réduits à partir en maison de retraite, le retrait de permis signifiant de fait l’expulsion de villages où le plus proche commerce est à dix kilomètres, le service d’urgence à 60 km ou 100 km — quant au médecin de famille, il a depuis longtemps disparu au profit de la santé numérique.
Ajoutons à cela l’abandon des politiques d’aménagement du territoire, les menaces sur la loi littorale et le recul des pouvoirs des Maires et élus locaux, le refus de mettre à l’étude le Referendum d’initiative locale, la grande manipulation des Conventions nationales et des essais de démocratie directe, et le tableau est achevé — la coupe est pleine. Les ruraux doivent financer le confort social, les services publics et les transports en commun des métropoles, sans en bénéficier en rien eux-mêmes ; l’inégalité territoriale augmente, les campagnes se vident, la France se désole.
Voilà ce que des gouvernants hors sol ne peuvent pas entendre ; de fermeture de services publics en privatisations rampantes, l’État abandonne les territoires français, en métropole et plus encore, outre-mer. Voilà surtout des inégalités au détriment des Français qui peuplent encore les terres de France, qu’il est interdit d’évoquer, plus encore de chiffrer. Qu’en est-il des données qui comparent la fraude sociale en Bretagne à celle de la région parisienne ? Celle des résidents de l’Aveyron à celle des Marocains et Algériens ? Et qu’en est-il de la contribution sociale et fiscale des riches exilés au Portugal, à Chypre ou ailleurs, par rapport à celle de ces Français moyens de la ruralité qui ont si fort le sentiment de payer pour tout et pour tous, sans rien recevoir en échange ?
Si encore ils ne recevaient pas le mépris ! Pour conclure un contrat, il faut être deux. Le projet de contrat avec le monde rural concocté par le Premier ministre viendra comme d’habitude des cabinets parisiens ; l’exemple est donné par un projet ZAN (zéro artificialisation nette en 2050) qui aboutit à pénaliser les communes rurales les plus vertueuses en matière de permis de construire, et passe à côté du sujet des friches industrielles — densifier les villes oui, désertifier les campagnes, non ! Disent les Localistes.
Des réunions publiques manipulées éviteront soigneusement les sujets qui fâchent — l’implantation de foyers pour migrants sans accord de la population, l’obligation d’accueil de mineurs isolés dont les métropoles ne veulent pas, aux dépens des départements ruraux, comme les contrôles inquisitoriaux sur les cours et retenues d’eau, comme les saisies par les gendarmes de plants et semences que des producteurs échangent ou vendent hors du racket légal des semenciers, etc. L’écologie trahie par le globalisme, travestie en moyen de normalisation, de contrôle et d’unification au profit des multinationales, est devenue la bête noire de ruraux qui ont toutes les raisons de se croire les vrais défenseurs de territoires sur lesquels beaucoup sont nés, sur lesquels ils vivent, et qu’ils ont pour souci de transmettre à leurs descendants comme ils les ont reçus. Rien à voir avec une écologie des beaux quartiers qui rêve de réserves vides d’habitants, de campagnes fermées à l’activité humaine, et qui ne sait rien de ce compagnonnage séculaire qui a façonné les hommes, leurs maisons, leurs plats et leurs vins dans une relation intime et directe avec la nature !
Si quelques réformes peuvent donner le bon signal à la ruralité, ce sont les projets portés par Les Localistes ! Au nom de l’égalité des territoires devant l’action publique, de la restauration des biens communs de communautés locales robustes, vivantes et fortes, et de la priorité donnée à la ruralité dans la nouvelle France.
D’abord, respecter le principe de subsidiarité et rapprocher le plus possible la décision du terrain. C’est vrai pour l’implantation de parcs d’éoliennes sur terre comme en mer, de panneaux photovoltaïques dans les champs ou de méthaniseurs comme c’est vrai de l’affectation des budgets de la culture et de l’innovation, ou du maintien de distributeurs de billets et du paiement en espèces.
La société subsidiaire renoue avec la démocratie, elle refonde la légitimité de la décision publique, et elle rétablit la responsabilité des élus devant leurs électeurs.
Ensuite, définir une politique d’aménagement des territoires en concertation avec les élus, les fédérations professionnelles, les chambres de commerce, les associations de militants locaux, ces corps intermédiaires enracinés, mais marginalisés au profit d’ONG et de Fondations qui ne représentent que les intérêts des milliardaires qui les financent. C’est la condition d’une réindustrialisation réussie, et de l’autonomie vitale dans l’alimentation, la santé, l’énergie, l’armement, etc. Pour que ces politiques remportent l’adhésion, il est urgent de rétablir les consultations publiques pour tout projet d’impact local, avec commissaire enquêteur, publication du rapport d’enquêtes, auditions publiques et consultations d’experts. L’attractivité de nos territoires s’en portera mieux !
Encore, il convient de moduler les normes et les contrôles selon la taille des établissements et leur chalandise — les normes et contrôles utiles de la DGCCRF sur le restaurant local, le gîte rural ou le producteur qui vend sur le marché local n’ont rien à voir avec ceux requis pour l’industriel du surgelé ou des plats préparés ! Sortir de la course au prix le plus bas au profit du meilleur rapport qualité-prix doit revaloriser la proximité — qui peut expliquer que des agneaux venus de Nouvelle-Zélande soient étiquetés « bio » ? La même exigence doit s’appliquer aux appellations d’origine, et dissuader les escrocs qui créent « le Bleu des Causses » pour concurrencer le Roquefort avec du lait venu d’Europe de l’Est, les producteurs d’escargots de Bourgogne venus des Balkans, ou les vendeurs de fruits de mer autour des étangs du Midi qui importent leurs produits de Turquie, en passant par la Grèce pour obtenir la mention « produit de l’UE » !
Faut-il ajouter que la France doit tourner la page des traités de libre-échange, comme le font les États-Unis, et organiser la préférence locale, régionale et nationale en matière d’achats publics ! Quant aux ravages du numérique, qui accentuent l’isolement et légitiment la disparition des services publics, ils doivent être corrigés par ce principe simple ; toute démarche administrative possible par Internet doit être également assurée par un agent administratif, en chair et en os, et dans la communauté de commune.
Enfin, l’instrumentalisation de l’écologie par des Verts alignés sur l’agenda de la prétendue « finance verte », et dictée par les escrocs de la « RSE » si favorable aux multinationales (en 2022, les meilleures notes en matière de RSE sont obtenues par… les cigarettiers dont chacun connaît les performances en matière de santé publique !) doit trouver son arrêt dans le principe de la préférence pour les producteurs, les artisans, les prestataires locaux. Ce principe sera appliqué dans les appels d’offres publics, il sera relayé par l’information du consommateur — vos achats sont vos emplois et la vie de votre village ! — et dans le refus de la financiarisation des projets « Verts » par le capital international, au profit du crédit bancaire et de l’épargne de proximité.
Quant au sentiment d’expropriation qui grandit, il appelle un principe de compensation intégrale des surcoûts imposés par les directives européennes en matière d’énergie, de transport, d’habitat ; que les frais d’isolation des logements soient remboursés à l’occasion de la cession ou des droits de succession ; et que tout résident d’une région aie le droit d’accéder aux agglomérations et centres-ville de toutes les villes et agglomérations de sa région, avec son véhicule quel qu’il soit.
Une ancienne DRH comme l’est Élisabeth Borne devrait être sensible aux facteurs structurels du renouveau de la ruralité. Ce sont les trois puissants leviers du Localisme. Le travail, l’argent, la gouvernance ; voilà les leviers durables du mieux vivre dans la ruralité.
D’abord, la fierté du travail bien fait quand le produit ou le service fait plaisir aux voisins, à la famille, à la communauté de vie — pas au consommateur anonyme du marché global. La proximité a aussi ses vertus sociales. Ensuite, le double dividende que perçoit celui qui investit tout ou partie de son épargne sur son territoire, en sachant que son intérêt est d’abord que des entreprises s’installent et prospèrent, que l’emploi des jeunes se développe, que les commerces rouvrent — nul n’est riche et heureux dans un désert. Que des banques qui se disent régionales aient perdu de l’argent sur les subprimes américains, que des retraités français voient leur argent géré par Blackrock ou Vanguard, est une aberration qui se paiera.
La réindustrialisation de la France passe par la mobilisation de l’épargne nationale sur les enjeux nationaux, et par la sortie de cette aberration ; les rendements financiers les plus élevés, jusqu’à plus de 30 %, sont obtenus par les investisseurs en projets « verts » de mégaéoliennes en mer, grâce à des prix garantis par l’État, donc par l’argent du contribuable — que les pauvres enrichissent les plus riches trouve dans la finance verte une intéressante illustration ! Enfin, la révision du statut des entreprises coopératives et mutualistes, des associations de producteurs, pour faciliter à la fois la levée de capitaux et la rémunération des associés et sociétaires par des structures auxquelles le principe ; « un homme ; une voix » assure une légitimité territoriale sans rivale. Des banques, des sociétés d’assurance, des sociétés de gestion d’épargne dont les clients soient les associés propriétaires, voilà la porte de sortie d’un capitalisme totalitaire, une porte ouverte sur le renouveau des communautés territoriales.
La ruralité est au cœur du vivre en France, chez nous, dans ces cultures et ces traditions qui ont fait le bonheur français. L’individu hors sol, l’homme de partout et de nulle part, celui qui ne sait pas s’émerveiller devant un chêne et distinguer un milan d’une buse n’ont rien à dire à la France ; ils appartiennent au passé, à ce monde sorti de la nature en état de décivilisation accélérée, et qui concourt à sa propre destruction avec une stupéfiante ardeur.
Que La Défense, Dubaï ou Manhattan deviennent des carcasses de fer et de béton battues par les vents et rongées par l’abandon, nous ne le regretterons pas. Les déserts retourneront au désert. Le localisme, le choix de bien vivre sur des territoires beaux, vivants et forts est le projet du futur. La société subsidiaire est le futur de la démocratie. C’est vrai à Privat comme au Québec, à Trieste comme à Washington. Et c’est là que se joue l’avenir des Français. Le grand retour de la géographie sur l’histoire, du local sur le global et du durable et résilient sur le neuf et le changement, offre toutes leurs chances à des campagnes françaises qui demeurent exceptionnellement belles, diverses et actives — encore actives. Une nouvelle alliance entre la France retrouvée et les villes et villages de la ruralité peut être la clé de la modernité d’après la modernité, celle où l’écologie redeviendrait une science de la vie et du bien vivre, où la ruralité réincarnerait le rêve français, celle où chacun éteindrait les écrans, les messageries et les applis, simplement pour goûter la beauté des terres de France.
Hervé Juvin,
avec Andréa Kotarac,
pour Les Localistes Eveillés !
Juin 2023
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