Ma tribune dans la Revue de l’énergie que vous pouvez télécharger sur le site de la revue.

Depuis la révolution industrielle, la consommation d’énergie augmente plus vite que la croissance économique. La globalisation a dépendu d’une énergie abondante et à bas prix. Elle permet cette double fiction : l’abolition de la distance par la gratuité du transport, beaucoup de produits étant moins chers après avoir parcouru des milliers de kilomètres que s’ils venaient de l’usine d’à côté ; et l’abolition du climat, la climatisation autorisant la vie humaine sur toute la planète. L’essor du numérique repose lui aussi sur une énorme consommation d’énergie ; Google consomme autant d’énergie que l’Irlande, et Internet pourrait réclamer 9 % de toute l’énergie mondiale en 2030 !

Les limites que vont imposer à notre consommation d’énergie à la fois les effets sur le climat des émissions de CO2 et l’épuisement des ressources à bas prix mettent en jeu notre système économique, politique et social tout entier. Une Europe de l’énergie en danger de fragmentation du fait des choix non coopératifs de l’Allemagne (impossible d’avoir en même temps une Europe de l’énergie, des réseaux interconnectés, et des politiques nationales divergentes) a peu de temps pour réagir, et pour intégrer ces limites. Qu’elle ne cède pas à la fuite en avant du recours à la technique, l’innovation et l’investissement, ces nouvelles religions du salut ! Car il n’y a pas de solution miracle. L’inventaire est sans appel.

Énergies fossiles ? Pétrole des sables et gaz de roche-mère n’auront guère retardé que de 5 ou 8 ans le moment où la consommation dépassera la mise en exploitation de nouvelles réserves, le fameux « peak oil ». Les ressources sont théoriquement considérables, mais difficiles d’accès, d’exploitation plus risquée et surtout plus coûteuse. Au siècle dernier, l’énergie d’un baril suffisait pour en produire… 100 ! Nous sommes tombés dans les meilleurs des cas à 25, plus souvent à 12, voire 5, et pour certains biocarburants, un baril produit… un baril !

La majeure partie des ressources en carburants fossiles existants est destinée à rester dans le sol.
Énergie nucléaire ? Si le choix de la France s’avère providentiel, et nous donne l’un de nos rares avantages industriels, tout indique que seuls des États riches, démocratiques et forts peuvent se doter du nucléaire civil sans graves dangers ; les limites du parc nucléaire mondial sont clairement tracées.
Solaire ? Si l’énergie solaire est théoriquement illimitée, son exploitation ne l’est pas, ne serait-ce qu’en raison de la rareté des métaux impliqués dans la fabrication des panneaux solaires.
Hydraulique ? L’équipement de nombreux pays, dont la France, est à peu près achevé, et les effets secondaires des barrages sur l’environnement et les populations sont de plus en plus une limite.
Éolien ? Le gâchis des paysages qu’en traînent les parcs d’éoliennes marque une limite évidente ; produire une électricité à la fois aléatoire et intermittente suppose la construction de centrales classiques, pour suppléer aux arrêts de production.
Quant aux nouvelles techniques, de la géothermie au moteur à hydrogène, ou encore aux piles atomiques, elles ne sortent pas des problématiques bien identifiées du changement climatique et des nouvelles raretés.

Toujours plus d’énergie à bas prix et partout ; ce moteur de notre civilisation a des ratés. Mais changer de moteur n’est pas aisé ; la part du charbon dans le mix énergétique mondial est remarquablement stable, de l’ordre de 38 %, l’Allemagne allant jusqu’à charger les batteries des voitures électriques… avec des centrales à charbon ! Et la France qui a interdit la fracturation en 2011 laisse EDF et ENGIE acheter du gaz de schiste… américain ! Pour faire face à la crise énergétique et réussir la transition qui s’impose, voici les trois évolutions que nous devons engager.

  • D’abord, produire, financer, consommer, recycler, le plus près possible des territoires. Le coût de la distance va devoir être payé, et pas seulement en argent. Les frontières s’élèvent, les continents s’éloignent, le monde redevient vaste. Le retour au territoire, inéluctable, souhaitable, est politiquement désirable. Faut-il ajouter que la voie de l’autonomie est aussi celle de la souveraineté ?
  • Ensuite, limiter les consommations. Les cités mirage où les climatiseurs permettent la vie humaine retourneront bientôt au désert, carcasses d’acier et de verre noyées par les sables. Le climat compte, et les ressources en énergie et en eau mobilisées par le bitcoin annoncent déjà les arbitrages à venir ; entre manger, boire, et ses bitcoins, il faudra choisir ! La transition vers un système économe en énergie et en CO2 est vitale, pour renouer les liens avec la nature, et désirable, pour tous ceux qui savent bien qu’être de chez soi est plus important que d’être de son temps. Le temps vient où c’est la baisse de la consommation d’énergie qui signifiera le progrès.
  • Enfin, restaurer la biodiversité. Face à l’accumulation du CO2 dans l’atmosphère, la plupart des solutions tiennent à la réduction des émissions, jusqu’à une compensation carbone, qui délivre en fait un permis de polluer à ceux qui peuvent le payer. Mieux vaut vider la bulle ! La captation du CO2 par les plantes, les arbres et le sol joue son rôle, quand des microorganismes sont présents, dans des forêts denses de grands arbres (les vieux et grands arbres séquestrent plus de carbone que les jeunes) avec une végétation respectée (une agriculture industrielle supprime les processus naturels de captation du carbone).

Autant anticiper la fin de l’énergie abondante et bon marché. Rendre à nos territoires leur autonomie et « produire chez nous tout ce qu’il est raisonnablement possible d’y produire » (Keynes, 1934) est non seulement possible, mais souhaitable. Gagner en indépendance financière, industrielle, numérique ; respecter les préférences collectives des populations, et non plus leur imposer les produits ou les services banalisés que la concentration des entreprises commande, est plus que souhaitable, désirable.

Subordonner l’activité économique à une nature vivante, diverse et proche, plutôt que détruire les services écosystémiques et nos biens communs pour tirer le meilleur rendement financier est la base de tout projet politique crédible pour la génération à venir. Si la rareté de l’énergie venait rétablir ce qui a été détruit, mettre fin à la domination d’une prétendue science économique sur le politique au profit de la science des systèmes vivants complexes, et faire de toute politique une politique de la vie, qui y trouverait à redire ?

Hervé Juvin est un écrivain français, qui a publié notamment La Grande Séparation — pour une écologie des civilisations (2012, Gallimard) et France, le moment politique (2018, Éditions du Rocher). Il estcandidat aux élections européennes sur la liste du Rassemblement national.

Catégories : Ecologie

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