Après une semaine agitée qui a vu le rejet par les députés de la candidature de Sylvie Goulard, le Parlement européen fait relâche. Les députés sont supposés rentrer dans leur circonscription, désormais leur pays, développer leur travail politique de terrain, reprendre contact avec un réel, souvent si loin des hémicycles.
C’est l’occasion pour moi de constater à quel point les Français connaissent peu le Parlement européen, et encore moins leurs députés. L’occasion de confirmer un sentiment répandu ; l’éloignement entre les Français et ceux qui les représentent est immense, il grandit encore, et la crédibilité de la parole publique, celle du gouvernement comme celle de l’opposition, est au plus bas. Droite et gauche confondues, les partis partagent la responsabilité d’avoir affirmé depuis trop d’années qu’il n’y a pas d’alternative, qu’une seule politique est possible : celle qui laisse les marchés et les juges faire la loi à la place du suffrage universel. Il faut le répéter : faire de la politique, c’est d’abord construire une alternative, la rendre possible, crédible, et dire qu’une autre politique est meilleure. Faire l’économie du débat, de la contestation, et des alternatives, se paiera cher. Car la destruction des corps intermédiaires laisse le pouvoir seul, et nu, devant le peuple.
L’affaire Goulard
Faut-il revenir sur ce qui est devenu l’affaire Sylvie Goulard ? Je demeure distant à l’égard de la plupart des commentaires. Certes, quel ingérable fourre-tout que cette commission qui lui était désignée ! Certes, les compromissions avec des think-tanks ou des lobbys étrangers. Certes encore, une fuite en avant fédéraliste, un alignement pro-américain et une naïveté globaliste à contre-courant, qui font d’elle une candidate du passé — du vieux monde. Mais la question n’est pas là. La désastreuse décision de 2008 qui permet à chaque pays de l’Union de désigner un Commissaire — comment gérer une Commission à 27 commissaires ? – ne s’accommode pas d’une validation parlementaire.
Elle prête à la Commission le rôle d’un exécutif européen, qu’elle n’est pas, étant et devant redevenir le secrétariat général du Conseil européen. Elle prête au Parlement une légitimité à censurer les choix des gouvernements qu’il n’a pas, puisque la souveraineté demeure dans les Nations. Le choix de Sylvie Goulard n’était pas un bon choix pour la France. Mais le rejet de sa candidature était impensable voici quelques années ; c’était le choix de la France ! Mais dans ce cas, comme dans le cas du commissaire hongrois, qui présentait toutes les qualités requises, le vote du Parlement manifeste clairement que les institutions européennes ne fonctionnent pas, et qu’il ne s’agit plus de reconstruire, de réparer ce qui peut l’être, mais de construire l’Union des Nations européennes. Vaste tâche. La crise qui ne manquera pas d’éclater à la Banque centrale européenne (BCE) au sujet des comptes « Target » nous donnera l’occasion d’y revenir sous peu.
Faut-il prendre du recul, comme nous y invite cette semaine de relâche ? Sans doute. J’accumule les rencontres, dans le sud de la France, aux abords de ce plateau du Larzac où se prépare l’ouverture d’un « village des marques » dont la région attend un peu d’activité. En Normandie, et à Paris, avec des entrepreneurs à succès, des gérants de fonds, des diplomates, et de ces arpenteurs du monde qui ne reconnaissent jamais dans les médias ce qu’ils ont vu, entendu, appris sur le terrain. Après la bonne nouvelle de l’arrêt du processus d’adhésion à l’Union de l’Albanie et de la Macédoine du Nord — pour une fois, la France a su l’emporter ! – trois sujets prédominent, avec quelques conséquences.
Un nouveau paradis fiscal au Nord
Le Brexit d’abord. Quels qu’en soient les termes, la situation est claire. L’Union européenne va subir de plein fouet la concurrence d’un port franc étendu à la dimension d’un pays tout entier. Mes interlocuteurs britanniques considèrent l’Union comme un rafiot qui prend l’eau de toutes parts, et qu’il faut quitter avant qu’il sombre. Ils sont très fâchés contre les multiples opérations d’influence, financées depuis le continent, pour intoxiquer l’opinion en faveur du « Remain ». Qui paie le voyage de ces collégiens britanniques qui manifestaient, le mercredi 9 octobre, devant le parlement de Bruxelles, pour demander à rester dans l’Union ? Hausse des salaires (4 % en 2018), niveau du chômage (3,9 %), activité financière florissante et richesse des villes en Angleterre démentent les affirmations apocalyptiques des médias continentaux (je n’ignore pas l’aspect fragile de ces chiffres, notamment ceux du chômage ; sont-ils plus robustes en France ?) La Grande-Bretagne ne va pas si mal. Et je sais que la résolution britannique de supprimer les taxes douanières, d’abaisser les normes, de libéraliser les conditions d’embauche et de salaire, d’alléger encore les contrôles bancaires et financiers, sur le modèle de Singapour partout cité, va durement attaquer l’activité sur le continent et plus encore, ses bases fiscales. Pas question ici de porter un jugement de valeur, mais d’interroger Michel Barnier ; l’après-Brexit, et les relations avec la Grande-Bretagne, ont-elles été pensées, préparées, maîtrisées ?
Hervé Juvin
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