A l’initiative de Jérôme Rivière, la Délégation française du groupe Identité et Démocratie et la Fondation organisaient, les 24 et 25 janvier, à Londres, un colloque sur le Brexit.
Le 5 février 2020, Londres n’est toujours pas touché par la famine
L’occasion saluée par Jordan Bardella de constater que Londres ne brûle pas encore, que la City ne s’effondre pas, et que la vie demeure trépidante et brillante. L’occasion surtout de constater que l’Angleterre a tourné la page. Remainers ou brexiters peu importe ; avec leur pragmatisme habituel, les Anglais se tournent vers le grand large et ils ont déjà largué les amarres. Un banquier de la City, éphémère député du Brexit Party, témoigne de sa confiance dans l’avenir, et offre le premier démenti aux « fake news » dont la presse française nous a abreuvé ces dernières années ; non, ce ne sont pas des illettrés alcooliques et manipulés qui ont voté pour le Brexit !
Des financiers qui travaillent pour les plus grandes maisons de la City, comme l’ancien patron du « 6 », Sir Dearlove, comme des enseignants à Cambridge ou Oxford, comme des intellectuels, accueillent sans crainte le Brexit, confiants dans leurs propres forces, certains que la prospérité, la sécurité et la liberté sont devant eux. L’optimisme et l’énergie de Boris Johnson sont communicatifs, et un vent de liberté souffle sur la Tamise. D’ailleurs, ne voit-on pas paraître les premiers articles du Financial Times favorables au Brexit ?
Pour un Français qui a entendu les accents churchilliens de Nigel Farage au Parlement (le 29 janvier), qui se souvient que l’Angleterre seule en Europe a tenu bon face au déferlement de l’Allemagne nazie, rien n’est plus important que d’écouter les Anglais. La députée finlandaise Laura Uhtasaari le dira avec chaleur ; toujours les Anglais ont été un peuple libre. Leur indéfectible patriotisme, que résume la formule « right or wrong, my country », vaut qu’on les entende. Que disent-ils ?
Brexit : un vent de large pour le Royaume-Uni
D’abord qu’ils quittent un navire en perdition. Aucune complaisance dans un constat qui n’est hélas que trop objectif ; l’Union européenne nuit gravement à l’Europe. L’euro n’a pas tenu ses promesses ; jamais les économies européennes n’ont autant divergé, et jamais le blocage monétaire assuré par l’euro n’a introduit autant de rigidité dans les politiques des Etats ralliés à la monnaie unique. L’idéologie globaliste, immigrationniste, individualiste de l’Union ne cesse de réduire les libertés publiques, de museler les débats, et d’étouffer la démocratie. Les Anglais partagent ce constat, et ils s’en vont ; c’est une victoire de la démocratie. Ce ne sera pas la dernière.
Un précédent a été créé. Il est lourd de conséquence pour l’Union. Le moment où c’était « l’Union ou la mort » est passé. Les Nations savent désormais qu’il y a une vie après l’Union, une vie hors de l’Union, et que ce peut être une vie meilleure. Retour à la normale donc, après des décennies d’usurpation ; si un pays peut rentrer dans l’Union, il peut aussi en sortir. Un club dont on ne peut pas sortir sous peine de mort s’appelle une mafia. Certains devraient y réfléchir.
Ensuite, que les Britanniques ont joué un rôle pour le moins ambigü dans l’Union. Rôle d’empêcheurs de tourner en rond quand, isolés, ils pensaient surtout à échapper aux règles de l’Union et à ne pas payer une livre de trop au budget communautaire.
Rôle autrement plus important quand une coalition de fait unit la Grande-Bretagne et les nouveaux entrants de l’Est, participant au même individualisme libéral, s’entendant pour démanteler toute législation sociale favorable aux organisations syndicales, aux accords conventionnels ou aux institutions sociales, s’entendant au contraire pour promouvoir les législations antidiscrimination et antiprotection sociale qui contribuent à mettre en place le marché mondial du travail dont rêve le capitalisme mondialisé – l’analyse d’Alain Supiot mérite à cet égard d’être retenue pour qui voudrait faire l’inventaire du rôle complexe de la Grande Bretagne dans l’Union ( 1), une Union dont elle sut paralyser tout ce qui ne servait pas au seul grand marché ouvert auquel elle voulait réduire l’Europe. A cet égard, le départ de la Grande Bretagne va poser à l’Union une question qu’elle n’est peut-être pas prête à traiter ; que veut-elle vraiment, maintenant qu’elle n’a plus l’excuse de la Grande Bretagne pour ne pas réaliser tant de bonnes intentions proclamées ?
Enfin, parce que rien n’est écrit, et surtout pas l’échec de l’Angleterre après Brexit. Pas la peine d’évoquer l’habileté avec laquelle la Banque d’Angleterre a géré la sortie de la crise de 2008, de manière bien plus efficace que la BCE. Pas la peine non plus de comparer les taux de croissance constamment supérieurs de la Grande Bretagne, attendus légèrement supérieurs après le Brexit ( autre démenti apporté par le FMI au catastrophisme de rigueur chez les plumitifs français ) ; que signifient réellement les taux de croissance dans un univers où la croissance est le problème, pas la solution ? Il est plus intéressant de comprendre le choix de l’Angleterre ; le monde plutôt que l’Europe.
Aucune nostalgie impériale dans ce choix du grand large, mais le constat brutal que l’Amérique, l’Asie, l’Inde, l’Afrique même, avancent plus vite que l’Europe. Mais le constat que l’Union européenne rétrécit les pays qui s’y sont liés (2) tout simplement parce que son indignité historique condamne la puissance dominante, l’Allemagne, à s’absenter du monde. Mais cette perception partagée ; le monde avance plus vite que l’Union européenne, il avance sans elle, et il n’est pas loin d’avancer contre elle – contre sa bureaucratie, ses règlements, son juridisme, et surtout, sa haine des peuples libres.
De la Magna Carte à la CJUE
Le point est décisif. Pour le Brexit. Pour l’avenir. Qui connaît le rôle de l’Angleterre dans la reconnaissance des droits du citoyen, depuis la Magna Carta jusqu’à l’habeas corpus en passant par le principe « pas d’imposition sans représentation », puis par la « glorieuse révolution » de 1689 qui installa par contrat Guillaume d’Orange et la dynastie actuelle sur le trône, ne peut que comprendre le refus britannique de se soumettre aux fantaisies juridiques de la Cour de Justice de l’Union européenne ( CJUE).
Ceux qui ont inventé le droit de la personne et de la représentation n’ont pas de leçons à recevoir de ceux qui les dévoient et qui en font les instruments de la dépossession démocratique ! L’essayiste qui a formulé l’opposition actuelle entre les « somewhere » et les « anywhere », les hommes de nulle part, forgés par la globalisation, et les gens de quelque part, liés à un territoire, une langue et une patrie, David Goodhart (3) témoigne de l’attachement des Britanniques à leur droit, à leurs droits également, et l’indignation collective quand la CJUE se mêle de faire la loi chez eux. Avec réalisme, l’ancien éditorialiste du Guardian ( quotidien de centre gauche) accepte maintes convergences avec les patriotes ou conservateurs, notamment sur les libertés publiques et sur la protection aux frontières contre tout ce qui menace la liberté et le droit ; voilà des points sur lesquels un remainer modéré, comme lui, des Brexiters lucides et des patriotes, ceux qu’il nomme « decent conservatists », peuvent s’entendre !
Le point décisif, c’est que les risques économiques et financiers n’ont pas effrayé les Britanniques. Le point décisif, c’est qu’il y a avait plus en jeu pour les Britanniques que l’argent ; l’être même de la Grande-Bretagne. L’Union européenne a provoqué le Brexit par l’ignorance et le mépris de l’histoire, l’arrogance et l’ingratitude de ceux qui ne savent pas ce qu’ils doivent aux vieilles Nations, à la vieille religion et aux vieux principes qui ont fait de l’Europe ce qu’elle est. Ceux qui ont inventé le droit moderne voici bientôt mille ans n’ont pas d’ordres à recevoir de ceux qui l’ignoraient voici moins d’un siècle – il y aurait beaucoup à dire sur la prétention d’anciens pays de l’Est à dire le droit en Europe, ou sur la folie libérale qui s’est emparé de dirigeants mal lavés de leur collaboration au communisme soviétique, devenus les apôtres intransigeants du libre échange, des privatisations et de la concurrence débridée !
Dérive bureaucratique et administrative incompatible avec l’esprit anglais
L’Union européenne a provoqué le Brexit par l’indicible dérive bureaucratique, administrative et réglementaire dont les parlementaires sont victimes. Des élus qui n’ont jamais gagné un euro d’un client, des fonctionnaires qui n’ont jamais travaillé en entreprise, ignorent ce que signifie gagner un contrat, embaucher un collaborateur, négocier un crédit ou une levée de fonds, jonglent avec les milliards d’euros et prennent des décisions inapplicables dont des milliers de PME, d’indépendants, de salariés, devraient faire les frais – le Green Deal est à cet égard superbe de prétention, d’indécence et d’irréalisme !
Face à une situation que chacun peut constater, le Brexit est un retour au réel. La Grande Bretagne a choisi d’atterrir dans le monde tel qu’il est, plutôt que de rester en apesanteur dans un monde réduit aux proclamations de bonnes intentions, au confort moral et au vide opérationnel du Parlement européen. Qui a constaté, partout dans le monde, à la fois l’énergie britannique, la capacité d’adaptation, l’aptitude à tirer parti de toute situation des sujets de sa grâcieuse Majesté, ne peut que juger les qualités éminentes de la Grande Bretagne radicalement incompatible avec le carcan que la Commission européenne place sur toute négociation commerciale avec des pays hors de l’Union – puisque la Commission s’est vue attribuer l’exclusivité des mandats de négociation d’accords commerciaux avec les pays tiers.
Et qui observe, aujourd’hui encore, la fluidité de la politique britannique, une capacité d’anticipation jamais démentie, de Palmerston à Disraeli, de Churchill à Thatcher et de Blair à Johnson, ne peut que la juger incompatible avec la tutelle sans cesse plus insidieuse, plus contraignante, de la Commission européenne dans les affaires intérieures des Etats de l’Union. Comme il ne peut que s’interroger ; et si, une fois de plus, les Anglais étaient en avance sur le continent, et s’ils prenaient le virage de ce nationalisme économique qui, partout, en finit avec les fantasmes du libéralisme global? Ajoutons que les Anglais ont assez compté leurs souffrances, leurs sacrifices et leurs morts pour ne pas souffrir que des inutilités parlementaires leur ordonnent d’abandonner leur drapeau. Entre l’Union Jack et le drapeau de l’Union européenne, le choix est vite fait. Les Français doivent y penser.
Et voilà le cœur du débat, qui est totalement et uniquement politique. Les Britanniques mettent fin à une fausse situation qui a duré trop longtemps – jamais in, jamais out, où étaient-ils vraiment ? – et ce faisant, ils mettent l’Union au défi de se réinventer, elle, son projet, ses institutions, ses pouvoirs et ses prétentions. Ils se tournent vers les Etats-Unis, l’Inde, le Moyen Orient et l’Asie centrale, ils ont déjà signé vingt accords commerciaux et multiplient les contacts bilatéraux – y compris au sein de l’Union… Ils engagent un programme de réformes structurelles à rebours du libéralisme supposé de Boris Johnson, pour faire de la Grande Bretagne une plateforme efficiente pour l’industrie, les services, la finance de demain, en investissant dans la santé, les transports, l’éducation, la sécurité – nous y reviendrons. ils ont surtout choisi de demeurer. Anglais, Britanniques, et libres.
Les négociateurs européens qui veulent punir la Grande Bretagne devraient s’en souvenir. Bien sûr, seul l’intérêt de la France doit désormais nous guider. Bien sûr, l’Union est l’interlocuteur légitime de la Grande-Bretagne après le Brexit, et elle peut donner l’exemple d’une institution créée par les Nations, et qui servent bien leur intérêt national. Mais un échec de la Grande Bretagne serait un échec de la démocratie et de la liberté. Un échec de la Grande Bretagne signifierait l’échec de toutes les Nations d’Europe qui entendent demeurer libres de choisir leur destin. L’échec de tous ceux qui espèrent qu’une autre Europe est possible, l’Europe d’une Alliance des Nations, l’échec de ceux qui croient qu’elle est encore bien vivante dans l’ombre, la petite flamme de la liberté politique.
Hervé Juvin
- Lire « La gouvernance par les nombres », Cours au Collège de France, Alain Supiot
- Lite « Comment rétrécir la France en plsu grand », Ramu de Bellescize
- Lire « « David Goodhart
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