Un siège permanent au Conseil de Sécurité, une capacité de frappe nucléaire indépendante avec tous les vecteurs qui la servent, une place de sixième puissance mondiale, avec des zones d’excellence dans le luxe, l’armement, le tourisme, mais aussi la biologie, les mathématiques, la finance, une culture et une langue diffusées dans le monde… la liste des atouts français est connue, et banale. Elle oublie pourtant l’essentiel. Jusqu’à ces dernières années, le principal atout stratégique de la France dans le monde était un État en pleine possession de ses moyens. La France bénéficiait d’un État en bon état de marche. La facilité de la France à financer sa dette a-t-elle une autre raison que la capacité de l’État à lever l’impôt ?
La France est une cible
Faut-il en parler au passé ? Un regard lucide sur l’évolution des rapports de force et sur la poursuite par les uns et les autres de leur intérêt national nous en convainc très vite ; la France est une cible. Une cible, par ce qui lui reste de la politique de non-alignement héritée du général de Gaulle, en particulier une force nucléaire indépendante. Une cible, par une présence au monde et dans le monde qui ne se limite pas, bien au contraire, à la présence au sein de l’Union européenne et à l’enrôlement dans l’OTAN ; bien au contraire, car l’Union européenne comme l’OTAN sont plutôt d’efficaces moyens de rendre dans le domaine géopolitique et de Défense, la France plus petite, plus limitée, et plus soumise qu’elle ne le serait seule.
Une cible du fait de l’importance de ses exportations d’armement, dont le Rafale est l’exemple ; nous n’avons pas fini de payer ce que l’illusionnisme d’une défense franco-allemande va coûter à nos industries de l’armement, soumises pour leurs exportations au pacifisme béat des Verts allemands, sans doute membres de la coalition qui succédera au gouvernement de Mme Merkel !
Une cible encore, par les liens historiques, la connaissance intime et l’influence qu’elle garde dans de nombreux points chauds du monde, qui font d’elle, volens nolens, un acteur présent dans les grands affrontements du moment ; qu’il suffise d’évoquer la présence française au Sahel, au Liban, en Centrafrique, ou dans le Pacifique et l’océan Indien.
Cible encore, en raison de la coexistence sur le territoire national de minorités nombreuses et engagées dans des combats divers ; la France compte à la fois la plus nombreuse communauté juive d’Europe, et la plus nombreuse communauté musulmane, et seul un miracle peut lui éviter d’être entraînée dans des conflits communautaires qui ne sont pas les siens. J’ai connu le temps où un haut fonctionnaire pouvait interroger ; « est-il permis de défendre Israël ? » (in Le Débat, 2002), certains jugent qu’en notre temps, la question est ; « est-il permis de défendre l’Islam ? », j’aimerais que soit posée la question ; « est-il permis de défendre la France ? »
Pour une France libre
Héritage ou destin, la France ne se range pas aisément du côté du monde bipolaire où ceux qui lui veulent du bien voudraient la faire tomber. Parce qu’elle dépasse, elle dérange. Et parce qu’elle dérange, elle est cible. La stupide béatitude où l’élection de Joe Biden a plongé nombre de commentateurs devrait se dissiper bien vite, à mesure que trois réalités vont se faire jour.
D’abord, l’écart. Nous ne parlons plus le même langage des deux côtés de l’Atlantique, et l’invocation aux « valeurs » communes, pertinente et même, déterminante au moment de la confrontation avec l’Allemagne nazie ou l’Union soviétique, perd chaque année de sa consistance. Tout regard lucide sur la décomposition de la société américaine — 50 millions d’Américains dépendent de bons alimentaires ! — et son insupportable indifférence à la misère de ses citoyens, sur l’agressivité du système militaro-industriel à l’égard de tout ce qui peut justifier ses budgets et sa capacité à fabriquer des menaces et des ennemis, sur les opérations d’un terrorisme d’État qui aura fait tant de victimes — y compris américaines — en Afghanistan, en Irak, en Syrie, en Lybie et ailleurs, sur la capacité de minorités actives à manipuler une puissance aveugle, devrait conduire la France et l’Europe à prendre leurs distances à l’égard d’une puissance qui confond alliance et soumission, dialogue stratégique et alignement forcé.
Le pire serait que la France se laisse contaminer par le naufrage de la société américaine, du racialisme à la cancel culture et du culte des minorités bruyantes à la quête du « Great Reset » — une pandémie pire que celle du COVID19.
Ensuite, le terrorisme juridique. De l’extraterritorialité du droit américain à la multiplication des sanctions contre la Russie, la Chine, et tous les pays qui ont le malheur de ne pas satisfaire la ploutocratie au pouvoir à Washington, les États-Unis font du droit — de leur droit — une arme de destruction massive de la diversité des systèmes juridiques, des modèles d’affaires, et des systèmes socio-politiques. Aucun doute à ce sujet ; si Donald Trump n’était guère enclin à mobiliser le DOJ, une administration démocrate n’aura aucune retenue.
Une grande banque française, Nordstream, la présence française en Afrique, les Routes de la Soie et les relations avec la Chine, sont sur la liste de ce qu’il faut appeler un terrorisme juridique qui s’attaque aux personnes pour disposer des institutions. Là encore, l’urgence est de réduire les relations, de couper les liens de dépendance, d’inciter les entreprises à réduire leur exposition à l’arbitraire américain, et de savoir qu’entre les États-Unis et le monde, la France doit préférer le monde.
Enfin, l’obéissance. La France, avec d’autres, doit faire entendre clairement aux États-Unis qu’alliance ne signifie pas soumission. Une France libre, forte, présente au monde, dans sa langue, ses mots et ses intérêts, est plus utile aux États-Unis qu’une France réduite au silence, fermée au monde et réduite aux instructions qu’on lui donne. Le Président Chirac, instruit par l’expérience du jeune sous-officier en Algérie qu’il avait été, rendait un réel et valeureux service en déconseillant au Président Bush l’aventure irakienne ; que n’a-t-il été écouté !
Une France qui en revient à la IVe République, quand l’envoyé américain définissait l’ordre du jour du Conseil des ministres, une France qui accepterait les instructions américaines aussitôt avant un entretien téléphonique entre le chef de l’État et le Président de la République populaire de Chine, devrait s’interroger à nouveau sur le sens du mot « indépendance ». Et l’offre à son vieil et cher allié américain devrait être claire ; des États-Unis qui vont mal sont un danger pour la France, et la France fera ce qu’elle peut pour aider, dans son propre intérêt, les États-Unis d’Amérique à redevenir une Nation libre parmi des Nations libres. La liberté française est une occasion d’enrichissement pour des États-Unis souvent victimes de leur puissance et des préjugés qu’elle fait naître. La France, comme les États-Unis, poursuit son intérêt national, et c’est la plus sûre condition d’une alliance pérenne et fructueuse.
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