5 — « Les migrations sont une réponse au sous-développement et aux régimes autoritaires »
Dire que ce qui peut arriver de meilleur à un Malien, un Malgache ou un Afghan est de devenir européen est d’un mépris total. Le meilleur est qu’ils travaillent, agissent, aident leur pays à devenir ce qu’il veut être. La réalité des migrations est le pillage de la ressource humaine des pays qu’elle touche. Et c’est la paralysie politique ; certaines des dictatures les plus sévères ont sciemment encouragé le départ des meilleurs des plus actifs et des plus remuants — de l’étranger, ils ne pourront agir. Si l’Union soviétique avait organisé le départ à l’Ouest de ses plus remuants opposants, elle serait toujours là.
Pour ceux qui rêvent d’en finir avec le politique, de désarmer leur opposition et de livrer la société à l’économie, les migrations sont un moyen rêvé d’en finir avec la citoyenneté, cette prise en charge des affaires publiques qui unit ceux qui veulent décider ensemble de leur destin — ce qui s’appelle démocratie. Pourquoi ne pas inciter les « gilets jaunes » à migrer pour qu’ils ne troublent pas la « start up économie » ? S’ils ne sont pas contents, qu’ils partent ! Et voilà comment l’idéologie du nomadisme assure la mainmise totale de l’économie sur la société et les territoires.
6 — « Les migrations stimulent l’économie »
Que de belles âmes volontiers dites humanistes évaluent les bénéfices et les coûts de l’immigration renouvellent sans le mot, les discours lénifiants sur les trafics d’esclaves de jadis. L’argumentation poussive qui veut que les migrations rapportent aux pays dits « d’accueil » est indécente. Les esclaves aussi étaient la condition d’économies agricoles florissantes.
Considérer les hommes, évaluer les hommes, comptabiliser les hommes, selon leur compte de résultat et décider selon le solde s’il faut ou non accueillir les migrants, et combien, et qui, renouvelle l’esclavage, le trafic des hommes, et crée sans le dire un marché mondial des hommes. Une Europe qui a compté par dizaines de milliers les siens vendus comme esclaves par les Barbaresques devrait le savoir ; le retour du commerce des hommes signifie un retour historique de grande ampleur, dans lequel ce qui s’est appelé civilisation, démocratie, et citoyenneté, se dissoud en même temps que la sécurité morale, culturelle et civique que les Nations prodiguaient à leurs citoyens.
7 — « Un homme est partout chez lui »
L’air conditionné, l’énergie à bon marché et l’eau au robinet produisent cette illusion ; l’homme est sorti de la géographie. Cette illusion est aussi une négation, celle de la culture, cette médiation entre la liberté humaine et les conditions que le climat, la végétation, les animaux, le relief et les saisons imposent à son établissement comme Philippe Descola la si bien illustré. La technique prétend assurer le triomphe de l’histoire sur la géographie et assurer l’avènement de ce monstre ; l’homme de nulle part, l’homme hors sol, qui est aussi l’homme des droits de l’homme. La réalité est que l’homme est un animal territorial. La réalité est que la vie humaine dépend de l’invisible et permanente tâche de celles et ceux qui travaillent à transmettre à leur enfant et leurs petits-enfants une terre plus belle, plus riche et plus vivante que celle qu’ils ont reçue de leurs parents. Voilà qui avertit ; l’homme qui est partout chez lui n’est un homme ni de culture ni de conscience, c’est l’homme de ses intérêts, un homme sans responsabilité et sans engagement, un homme de rien, que le vent de l’histoire balaiera comme il réduira les capitales du désert aux carcasses d’acier et de verre qu’elles sont déjà.
8 — « Nous sommes tous nomades »
C’est le rêve du capitalisme mondialisé ; faire de chacune, de chacun, des nomades, afin que la terre, l’air, l’eau, la vie, les hommes, soient des actifs comme les autres, à vendre à leur prix sur le marché mondial. Ce rêve a une réalité ; le nomade est l’homme de la terre brûlée, celui qui épuise les ressources d’une terre à laquelle rien ne l’attache, pour aller plus loin réaliser le même exploit. Le nomade n’assume aucune responsabilité territoriale. Il détruit ce que le sédentaire conserve. Voilà un idéal moderne ; que plus rien nulle part n’échappe à la loi du rendement maximum !
Le véritable ennemi de la finance mondialisée n’a rien à voir avec les figures du socialisme, du révolutionnaire, de l’anarchie. Bien au contraire ! C’est l’homme de chez lui et des siens, l’homme d’une foi, d’un honneur et d’une fidélité. Celui qui sait que les choses qui comptent n’ont de prix sur aucun marché du monde, mais que ce sont les choses qui se donnent et se transmettent, les choses pour lesquelles tuer ou mourir, celui qui sait ce que signifie le sacré, celui-là est l’ennemi final. Et rien n’est épargné pour faire de nous des hommes hors sol, pour nous arracher à nos territoires, à notre identité, et à l’idée folle que nous nous devons d’abord de demeurer ce que nous sommes.
4 ème partie
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