La Chine a longtemps représenté « le péril jaune » dans l’imaginaire fertile d’un Occident prompt à charger les autres de ses propres turpitudes. Ceux qui avaient forcé l’Empire du Milieu à s’ouvrir au commerce de l’opium pour combler leur déficit commercial, ceux qui par deux fois avaient conduit une guerre d’agression contre une Chine qui ne leur demandait rien, et détruit les trésors du Palais d’été auxquels, pour l’honneur de la France, Victor Hugo rendra hommage, accusaient la Chine de préparer une invasion à laquelle aucun Chinois n’avait jamais pensé. Inutile de rappeler la politique autocentrée d’un Empire qui se suffisait à lui-même, l’agresseur britannique a toujours dénoncé les agressions des autres.
De même, l’agression américaine qui encercle la Russie d’un cercle de fer et de feu pousse-t-elle les collaborateurs des États-Unis à crier à l’attaque imminente de la Russie. Chacun charge les autres de ses crimes, rien de nouveau dans le déni occidental, mais une inquiétude toute particulière ; et si l’Ukraine tuait les Jeux olympiques d’hiver, cette année 2022 accueillis à Pékin ?
Des JO zéro émission
Le fait est que la presse et les réseaux semblent avoir oublié les Jeux olympiques. Qu’il est loin, le temps où Albertville, Sapporo, Garmisch-Partenkirchen, et même Sotchi, étaient partout ! Le fait est que les performances inattendues de la Chine en matière de Jeux « Verts », c’est-à-dire respectueux de l’environnement, ont toutes les chances de passer inaperçues. Et pourtant… Ces Jeux de Pékin se présentent comme les premiers jeux 0 carbone de l’histoire — entendez ; les émissions de CO2 sont réduites au maximum et compensées par les puits de carbone que constituent naturellement forêts et zones humides. Il y avait urgence.
La région du Hebei, région de Pékin, a été l’une des plus polluées d’Asie. Et la zone de Zhangjiakou, celle où se déroulent les Jeux olympiques d’hiver 2022, était particulièrement touchée par une industrialisation aveugle. Les épisodes de pollution de l’air, de pluies acides ou de vent de sable balayant des espaces entièrement déboisés se faisaient de plus en plus violents, de plus en plus coûteux aussi en vies humaines, en journées de travail perdues, en transports paralysés ; je me souviens à l’hiver 2017, de journées de décembre à Pékin où les immeubles disparaissaient dans la brume, où les rares passants portaient tous les masques respiratoires, où enfants et personnes âgées étaient invitées à rester confinées — image avancée des ravages que la pandémie exercerait bientôt…
Mais je me souviens aussi avoir vu, littéralement, des forêts pousser en une nuit, des milliers (s d’ouvriers s’affairant à planter, sur des espaces dénudés, des arbres de 3 à 4 mètres, transformant en quelques heures le paysage et restaurant le circuit de l’eau, de l’évaporation et de l’humidité de l’air. Je me souviens de la même manière, au bord de la mer Jaune, dans un lieu de résidence apprécié des Pékinois, des ensembles d’immeubles au pied desquels un couvert dense d’arbres assurait ombre, fraîcheur et climatisation naturelle, mieux que tout système artificiel ; et, à l’hiver 2019, prés du quartier des ambassades, je voyais pour la première fois depuis combien d’années des habitants de Pékin sortir de leur voiture en maillot de bain et nager dans les canaux, spectacle impensable dix ans auparavant !
Un long chemin encore
La route est longue pour le pays qui demeure de très loin le premier producteur et consommateur de charbon, dont une partie des terres est durablement empoisonnée par les rejets chimiques et les déchets plastiques, qui a ramené au désert d’immenses régions du nord-ouest en raison d’une déforestation implacable, et qui a épuisé la vie marine sur une part notable de ses côtes. Mais la direction a changé. Au terme d’un système et d’une organisation dont le gouvernement chinois a la maîtrise, des forêts ont poussé dans le désert [la couverture forestière de la région des JO aurait été portée à 80 %, des milliers d’hectares ayant été replantés au cours des cinq dernières années], le régime des pluies a changé, et la pollution de l’air, monstrueuse à la fin des années 2000, a été divisée [elle aurait en moyenne, été divisée par plus de deux à Pékin depuis 2016]. La construction du premier réseau électrique flexible de 500 kW au monde devrait assurer aux JO d’utiliser une énergie verte à 100 %, entièrement issue du photovoltaïque et de l’éolien.
Des systèmes innovants de distribution et recyclage de l’eau utilisée pour produire la neige, la glace, et servir la consommation domestique, sont annoncés permettre un circuit de réutilisation de toute l’eau utilisée pour les JO. Et les transports collectifs par train rapide qui mettent la zone de compétition à 52 minutes de Pékin [pour 180 km] fonctionnent à zéro émission. Tous les transports du village olympique et la quasi-totalité des équipements sont électriques, toutes les matières premières utilisées sont recyclables, et la collecte de tous les gadgets dont les Chinois raffolent est organisée avec rigueur. Bref, peu d’émissions et peu d’impact ; la neige restera blanche autour des Jeux olympiques de Pékin.
Faut-il le croire ? Si la route est longue vers une Chine verte, les fortes paroles du Président Xi Jin Ping ont donné le cap « une eau pure et une nature vivante valent plus que l’or ». Les JO représentent à cet égard un enjeu majeur pour une Chine qui se sait exposée aux regards du monde, un regard rien moins que complaisant quand il s’agit d’environnement. Enjeu sportif, d’abord ; la Chine se doit de faire preuve de la parfaite organisation dont les JO d’été avaient témoigné. Enjeu d’image, ensuite ; faire apparaître la réalité d’une conversion verte, l’ampleur des programmes environnementaux, et aussi les innovations chinoises en la matière, est une réponse à la « conditionnalité » environnementale à laquelle les États-Unis et leurs suiveurs européens veulent sub ordonner les échanges commerciaux.
Il est essentiel pour la poursuite de la croissance chinoise que les entreprises occidentales ne ressentent pas le « Made in China » comme écologiquement destructeur. L’enjeu est tout autant économique. La Chine est entrée dans le marché du tourisme de masse, d’abord avec le développement du tourisme chez les Chinois eux-mêmes, qui découvrent peu à peu leur immense pays, et sont de plus en plus nombreux à vouloir pratique le ski ou la randonnée en montagne, mais aussi chez des touristes venus d’autres continents, pour lesquels l’exigence environnementale est forte.
Voilà pourquoi l’enjeu écologique est déterminant, et voilà pourquoi la réalité de JO décarbonés sera examinée à la loupe et sans complaisance par les journalistes et personnalités invitées. Car le débat a été engagé depuis longtemps en Europe et ailleurs ; entre l’urbanisation galopante, les équipements de remontée mécanique, de téléphérique et autres aires d’accueil, entre les aménagements destinés à l’entraînement et la compétition, ce qui était la montagne est trop souvent devenu un grand stade artificialisé et privatisé, ou bien peu subsiste de l’harmonie attendue avec une nature immaculée. Certaines villes de montagne, certaines stations de sports d’hiver, font partie des lieux les plus pollués de leur région, et l’industrie des sports d’hiver est suspendue aux conséquences du réchauffement climatique qu’elle amplifie par ses propres turpitudes.
Marche en montagne de printemps ou d’été, randonnées en raquettes ou peau de phoque, stations « nature » en basse et moyenne montagne… Loin des extravagances de Courchevel ou Megève, une exigence monte ; que la neige reste blanche. Et c’est tout l’enjeu de ces JO de Pékin 2022 ; démontrer que le grand rassemblement de la jeunesse du monde concourt à tourner la page de l’industrie des sports d’hiver, pour ouvrir le chapitre de la réconciliation du sport avec la nature. La Chine, dont la pensée traditionnelle s’attache à réunir ce que la raison occidentale sépare et à penser depuis le milieu du monde « tout sous le ciel », Tiang Xia, selon le titre du dernier livre de Xao Ting Yang, peut trouver dans les JO d’hiver 2022 l’évidente opportunité de faire passer un message de puissance et d’ambition. Il serait conforme à son identité stratégique et à l’enseignement du tao qu’elle s’attache aussi à se montrer apaisante, calme, et, pourquoi pas, bienveillante, les qualités de la plus grande force.
Hervé Juvin
Bruxelles, le 31 janvier 2022
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