Dernière semaine de février. Semaine dite « émeraude » du Parlement européen. Les députés rentraient dans leur circonscription, quand ils étaient élus sur des listes régionales. Depuis les dernières élections, ils sont élus sur une liste nationale, et leur circonscription, c’est leur pays. Belle occasion de redécouvrir la France, sa diversité et sa réalité. Belle occasion aussi de sortir de la bulle parlementaire, pour retrouver les Français comme ils sont et la vie comme elle va.
Voici un mois, j’en ai profité pour aller rencontrer des professionnels de la mer, entre La Rochelle et Royan. Cette semaine, immersion dans le monde agricole, du Salon de l’Agriculture à la Haute Normandie. D’une profession à une autre, d’une région à une autre, les situations diffèrent, les discours changent. Pourtant, je retrouve un fonds commun, des ostréiculteurs aux éleveurs et des industriels de l’agro-alimentaire aux industriels de la pêche.
Plus c’est gros, plus c’est difficile pour les agriculteurs
D’abord, les ravages d’une propagande assénée depuis des décennies par les géants de la chimie, de la machine et aujourd’hui du numérique ; plus c’est gros, plus c’est cher, plus c’est artificiel, industriel, et plus c’est mieux ! C’est un producteur de lait de l’Ouest qui constate que ceux qui ont voulu grossir à tout prix, dépasser les deux millions de litres de lait, s’en tirent mal, d’autres, restés bien en dessous, vont mieux. C’est un Président de Chambre d’Agriculture qui regrette le vertige industriel qui met trop de jeunes et de moins jeunes dans les mains de la banque et du crédit fournisseur, et pourrait bien finir par l’appropriation des terres par les usuriers modernes.
Même constat chez cet éleveur de porcs qui dit s’en tirer avec ses 250 truies, quand les monstres à 1500 truies souffrent davantage. Trop d’investissements, trop de complexité, trop de risques… L’agrobusiness broie ceux qui s’y laissent prendre ! Et il détruit la terre ; un viticulteur du bordelais qui travaille ses vignes avec des chevaux me raconte comment, après trois ans, sa terre revit, microorganismes, vers et insectes y réveillant la vie, tandis que les roues des tracteurs, de plus en plus grosses, de plus en plus lourdes écrasent tout sur leur passage.
L’illusion qu’avec plus d’argent, plus de technique, plus de numérique, tout va s’arranger
Plus tard, un céréalier des confins beaucerons m’explique comment l’envergure des pulvérisateurs est passée de 8 à 32 mètres en deux décennies, pour la fortune des machinistes et des banques, mais avec pour première conséquence que les perdrix, qui se croient loin du tracteur, ne s’envolent plus à son approche, sont aspergées des divers produits chimiques utilisés et meurent… Mais l’illusion qu’avec plus d’argent, plus de technique, plus de numérique, tout va s’arranger, est partout. Elle fausse le jugement, elle fait perdre ce respect pour la nature que partageaient les générations précédentes, elle intoxique le « Green new deal ». Un producteur me parle d’un distributeur automatique d’huîtres, qui pourrait révolutionner la distribution !
Au Salon, un éleveur de Montbéliard, passionné et passionnant, me soutient que les cornes sont une erreur de la nature, et que les vaches vivent beaucoup mieux sans cornes ; un vétérinaire m’explique lui que les cornes sont un élément de l’équilibre des bovins, et un moyen d’éviter d’être serrés les uns contre les autres ; on devine l’intérêt de l’industrie de l’élevage ! Et un aimable créateur de fermes urbaines, entrepreneur à Lyon, m’explique comment il est possible d’étager les cultures de légumes sur des dizaines de niveaux éclairés, arrosés, à température contrôlée — des gratte-ciel agricoles, est-ce vraiment le progrès ?
L’évolution technologique au détriment des produits ?
Ensuite, l’inquiétude sur l’évolution des métiers. Le Salon de l’Agriculture est une vitrine technique, écologique, financière aussi – mais qui ne sent que, derrière la vitrine, la réalité est toute autre ? Le contraste est saisissant. Au Salon, tout est vert ; autour des villes, des milliers d’hectares sont bétonnés, des terres imperméabilisées, perdues pour l’agriculture. Au Salon, les agriculteurs investissent, progressent, innovent ; dans les fermes, le combat mensuel pour faire face aux échéances du crédit, la guerre pour des prix qui paient le travail accompli, la lutte pour garder et transmettre les terres et l’outil de travail sont toujours et toujours recommencés.
Au Salon, bêtes, céréales, légumes et fruits affichent leur qualité exceptionnelle et témoignent d’une excellence française reconnue ; dans les champs, les haies s’arrachent, la chimie règne, et le cancer paysan fait des ravages… Formés par l’agrobusiness, tenus par la complicité du syndicat, des chambres d’agriculture, de l’enseignement agricole, avec l’industrie de la chimie, du machinisme agricole, et désormais du numérique, dirigés par le Crédit et par la Coopérative, beaucoup sentent qu’ils ont été conduits à faire les mauvais choix et qu’ils vont le payer cher. Mais que faire ? Que faire pour retrouver cette indépendance qui était l’honneur du propriétaire exploitant ? Que faire pour réduire l’artifice, la chimie, la machine, et retrouver l’usage de la nature au service de l’homme, comme des générations ont si bien su le faire ? Que faire pour renouer avec cette vraie richesse que prodiguent les services gratuits de la nature à qui les respecte ?
Le XXIe siècle sera celui du localisme
J’essaie d’expliquer la révolution de la traçabilité intégrale des produits, facilitée par les objets connectés et l’intelligence artificielle — le moment où chaque produit, du pérail de brebis au gigot d’agneau, de la tomate cerise à la banane, racontera son histoire et aura une identité. La révolution de la valeur est devant nous ! J’essaie de dire que le siècle va être celui du retour aux origines, du local opposé au global, du proche opposé au lointain, du produit d’ici et des siens opposé au produit nomade, siècle aussi du concret, du sourcé, du stable, du défini, et même, du limité. Les modèles de la mondialisation, les modèles de la fuite en avant de l’investissement et de la technique, sont morts. Constater que les fruits et légumes sont en moyenne produits à plus de 1200 km de l’assiette du consommateur, c’est dire la folie d’un système qui ignore la géographie et tient la distance pour rien. J’essaie surtout de dire que la santé humaine est le vrai, le seul, le premier problème écologique, et qu’il aura la priorité absolue sur tout le reste !
C’est là enfin le point commun de mes interlocuteurs. La mer, les terres, les eaux, l’air ne sont plus ce qu’ils étaient. Et ceux qui en vivent sont les premiers à s’en rendre compte, quand ils veulent bien le dire et y réfléchir. Pas un pêcheur, pas un producteur de fruits et légumes, pas un viticulteur ne peut douter qu’il se passe quelque chose sur le front du climat. Et pas un exploitant ne peut se cacher la réalité ; la terre qui meurt n’est plus le titre d’un roman (René Bazin, 1954), c’est la réalité de tous les jours. « Printemps silencieux », jardins sans oiseaux, terres mortes, sans insectes, sans microorganismes, terres écrasées par les engins surdimensionnés, saturés de chimie et d’intrants.. Combien d’années faudra-t-il pour y faire revenir la vie ?
Ceux qui travaillent à opposer l’exploitant agricole et l’écologie trouvent hélas un bon prétexte dans les agressions commises par une poignée de militants radicalisés dont il serait intéressant de savoir qui les finance, qui leur assure l’accès aux médias et qui en fait son instrument ; ils ont tort. Car l’intérêt à long terme de tout exploitant est aujourd’hui de retrouver la confiance du consommateur, la préférence des Français, et l’amitié de ses voisins.
La Présidente de la FNSEA, Christiane Lambert, se souvient-elle de ses propos comme Présidente des Jeunes Agriculteurs, quand elle disait ; « nous avons plus besoin de voisins que d’hectares » ? Et l’écologie est aussi la coopération entre tous ceux qui ont un territoire en commun, et qui forment un écosystème humain. La misère des terres va de pair avec la misère en milieu rural ; seul, l’économisme dominant cache le lien qui unit la détresse des milieux vivants et la détresse des ruraux. Ostréiculteurs effarés par les pollutions marines, préparant la culture d’huîtres en bassins fermés, d’eau de mer filtrée et dépolluée, mais conscients du fait que l’huître va devenir un produit de luxe, agriculteurs parlant entre eux du risque sanitaire lié aux produits de l’agrochimie, viticulteurs conscients de l’urgence de bannir la chimie de leurs vignes, élus locaux soucieux de rétablir de bonnes relations entre exploitants agricoles et population résidente, le constat est là ; quelque chose se passe sur le plan du climat, de la fertilité des terres, de la propreté de la mer et des eaux, de l’air, qui ne peut plus être évité avec désinvolture.
Quelque chose qui va bouleverser les modèles économiques dominants, qui annonce l’impasse de l’agrochimie, de l’agrobusiness et de la mort des terres. Des réponses sont nécessaires ; qui commencera à les apporter ? Certes pas un « New Green Deal » européen qui ne sait qu’ajouter du capital au capital, de la technique à la technique, et qui sert les intérêts bien compris des multinationales de l’agroalimentaire, les marchands hollandais ou allemands, et les trafiquants luxembourgeois ou irlandais ! Plus sûrement, le consommateur, qui manifeste de plus en plus son inquiétude sur la qualité sanitaire et la valeur nutritive des aliments qu’il consomme ; et qui manifeste son refus d’une artificialisation galopante de la nourriture — pensez au pain de viande à partir duquel le jambon ou le beefsteak sous cellophane sont de plus en plus souvent reconstitués !
Voilà pourquoi l’information, sur les lieux et les modes de production, sur les circuits de commercialisation, sur les techniques de récolte, de traitement ou d’abattage, est essentielle. Voilà pourquoi un contrôle effectif de cette information est vital ; qui ignore que l’agriculture conventionnelle française est soumise à des normes qui assurent une qualité de ses produits supérieure à bien des produits étiquetés « bio », mais importés, notamment d’Europe de l’Est ? Voilà pourquoi surtout rendre leur fierté aux agriculteurs, restaurer la noblesse de leur métier, qui est un métier d’indépendance, est essentiel. Au service du renouveau du projet français — une alimentation de qualité accessible à tous — nous y travaillons. Ne l’oublions pas ; l’alimentation est stratégique, et l’autonomie alimentaire comme la qualité alimentaire sont au cœur de notre projet pour la France.
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