Plan de sauvetage européen. Mécanisme européen de stabilité, fonds d’aide, subvention aux pays en difficulté, suspension des conditionnalités… Les chiffres pleuvent, 500 milliards ici, 1000 milliards là, pourquoi s’arrêter en chemin ? La Présidente de la Commission, Mme Van der Leyen, annonce un plan de 750 milliards nommé « Next generation » ; ajouté aux autres programmes européens, il porte à 2400 milliards d’euro le total des engagements de l’Union au titre du sauvetage économique des pays touchés par le COVID19 (dont 500 milliards en subventions, à répartir entre les pays les plus touchés, et 250 milliards en prêts). Quel boulet aux pieds des générations futures, celles-là mêmes qu’il s’agit d’amadouer en les endettant – mais c’est pour leur bien…

Désormais, il faut penser en Trillions pour sauver

Un commissaire européen l’a dit, désormais, il faut penser en trillions… Il serait indécent de rappeler que la pandémie ne tue (presque) que des « vieux blancs ». De craindre que les conséquences économiques de la mise en panne des économies, puis de la démesure des plans de relance, ne soient pires que celles de la pandémie elle-même. Ou de s’étonner du soudain laxisme de ceux qui faisaient profession de rigueur et d’austérité. Ceux qui se souviennent de l’intouchable objectif d’équilibre budgétaire, du dogme imposé par le traité de Maastricht, de l’institution de la Banque centrale européenne, ne peuvent qu’être abasourdis par la rapidité avec laquelle l’Union brûle ce qu’elle a adoré. Et le vertige saisit ceux qui savent ce qu’il faut d’efforts pour facturer 1000 euros à un client, pour mettre 1000 euros de côté, ou pour rembourser un emprunt. Mais l’Union ne vit pas dans le même monde ! A la Commission comme au Parlement, combien n’ont jamais émis une facture, attendu d’être payés, redouté une faillite ?

J’ai pris la parole le 27 mai 2020 lors de la séance plénière du Parlement européen pendant laquelle la Commission nous présentera son plan. Que dire ? D’abord qu’à ce niveau, il ne s’agit plus d’argent, mais de pouvoir. Et qu’à la faveur de la crise, un véritable coup d’État économique se prépare. Sous prétexte de la solidarité face à la crise, l’agenda fédéraliste progresse, l’Union entend mettre en place un ou des impôts européens (en dehors de l’excellente taxe carbone à l’entrée ou de l’urgente taxe sur les GAFAM), elle entend resserrer son contrôle sur les politiques budgétaires et sociales, remettre en cause la règle de l’unanimité et réduire un peu plus la diversité des cultures politiques et économiques des États membres.

Les montants en jeu servent d’anesthésiant ; puisque l’Union vient au secours des États démunis, ils vont cesser de brûler le drapeau européen ! Cette utilisation de la crise est malhonnête. Elle reproduit le scénario que connaissent bien les pays en cours d’adhésion ; l’argent de l’Union justifie tout, et d’abord la destruction des industries locales, du petit commerce de proximité, des agricultures traditionnelles. Est-ce la voie du futur ? Ou bien le moyen d’ajouter de la crise à la crise, pour assurer le contrôle sans partage des plus forts au détriment de leurs partenaires affaiblis et muets ?

Pour l’UE, tout doit redevenir comme avant

Il est certes indispensable d’agir. La crise aggrave les disparités au sein de la zone euro, menacée d’éclatement si aucune mesure de solidarité n’intervient. Et les pays confrontés à leurs sous-développements sanitaires doivent se rendre à l’évidence ; sans l’euro, leur situation serait pire. Mais chacun peut redouter que la quantité prime la qualité ; derrière les invocations générales au « green deal », à « nobody left behind », à quoi sert ce plan de sauvetage, sinon à revenir au monde d’avant ? Que les facilités d’endettement ouvertes par la Commission bénéficient à 52 % à l’Allemagne (17 % seulement à la France !) éclaire le jeu de puissance en cours – et assure à l’Allemagne que son outil productif renforcé par la crise sera pleinement employé à reconstruire l’Europe du Sud !

Von Der Leyen Europe

Que les multinationales, les grands opérateurs financiers, se précipitent pour aider l’Union européenne est de mauvais         augure pour les PME, le commerce de proximité, les entreprises familiales, qui sont pourtant la vie de nos territoires ! Le plan de relance affiche le rêve caché de la Commission ; fermer la parenthèse ! Et que tout recommence comme avant, libre-échange, ouverture des frontières, mobilité infinie, et valse des lobbys avec les ONG dans les couloirs de la Commission !

Ce rêve est sans issue — revenir au monde d’avant, c’est recréer les causes de la pandémie et en préparer de nouvelles. Nous devons préparer le monde d’avec — un monde qui va vivre avec le risque permanent d’effondrements sanitaires et écologiques. C’est le lot des générations à venir, qui peut en douter, alors que ce mois de juin s’annonce déjà comme le plus chaud jamais observé en Europe ? Alors qu’à la faveur de la crise, les pillards de la biodiversité, de la grande forêt et des réserves accentuent leur pression sur les écosystèmes d’où s’échappent les virus des futures pandémies ?

Tout doit changer

Nous devons préparer un monde dans lequel faire mieux sera souvent faire avec moins — d’énergie, de mobilité, d’argent. Moins de capital, de technique, d’intrants ; plus de travail, d’emplois, de proximité. Le monde d’avec est un monde dans lequel les qualités l’emporteront sur les quantités, et la première des qualités sera d’être proche, d’être chez soi, et d’y être bien. Un monde dans lequel vivre et travailler au pays sera le souhait légitime de la majorité des jeunes Européens, un monde qui en finira avec ces « villages des grands-pères » des pays baltes et de l’Est européen, où seuls les grands parents attendent les enfants à la sortie de l’école parce que tous les jeunes adultes sont partis travailler au loin….

Sauver l'Europe

Un monde dans lequel le marché intérieur sera la priorité, et la distance se paiera son prix, pas seulement en taxation du CO2, mais aussi en compensation de l’insécurité sociale, culturelle et territoriale que diffuse le libre-échange. Un monde dans lequel l’égalité devant l’impôt passe avant la libre circulation des capitaux, des services et des data. Un monde dans lequel les multinationales n’échappent plus à leur responsabilité territoriale et nationale en multipliant les filiales. Un monde aussi dans lequel c’est la citoyenneté qui fonde la solidarité, et la frontière qui définisse des limites, celle de l’unité, celle de l’intérêt commun, celle des biens collectifs à protéger. Une Europe enfin qui abandonne toute idée d’uniformisation et de fédéralisme, parce que demain comme hier, c’est la diversité des Nations qui la composent et la puissance de leurs identités particulières qui fera l’élan du continent et lui ouvrira de nouveaux horizons géopolitiques, ceux de la puissance au service de l’indépendance.

Ce n’est pas ce que le plan de sauvetage européen prépare. Des milliards oui, mais pour qui et comment ? S’il s’agit de renflouer des multinationales, de voler au secours de sociétés qui ont fait de l’optimisation fiscale et du rendement pour l’actionnaire leur stratégie, s’il s’agit d’aller encore plus loin dans la dissolution des identités et de la diversité des Nations, le plan européen ne fera que conforter l’usage insensé du monde qui a conduit à la crise, et accélérer les effondrements politiques et sociaux qui nous attendent à la rentrée prochaine. Il n’est que plus urgent de proposer, de construire, et de préparer le grand bond en avant de notre autonomie stratégique, porté par le patriotisme économique.

Hervé Juvin, le 27 mai 2020


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