Au niveau de l’Union européenne comme des différentes Nations qui la composent, l’heure est aux plans de relance. Par centaines de millions d’euros, par milliards, dizaines de milliards, centaines de milliards et pourquoi pas, milliards de milliards, la Commission emboîtant le pas aux Banques centrales, Federal Reserve et BCE, pour ajouter des zéros aux zéros… Puisque l’argent ne coûte rien, pourquoi se priver !

La relance, pourquoi ?

Inutile de dire que ce « pognon de dingue » est distribué dans des conditions qui posent question. À qui, pourquoi, et selon quels critères ?

Tout aussi d’interroger les raisons pour lesquelles de tels plans apparaissent nécessaires, urgents, indispensables.

Le COVID19 ? Sans doute. Et sans doute la pandémie était elle imprévisible, comme le sont les mesures successives et contradictoires prises pour le combattre, dont l’avenir dira si elles ne sont pas pires que le mal qu’elles prétendent prévenir. Mais enfin ! Tout dirigeant d’entreprise, tout élu local, tout consultant, peut faire la liste des évènements également imprévus, également graves, qui ont perdu l’exercice des entreprises au cours des trente dernières années. Qui croit que la crise bancaire, puis économique nommée « la grande dépression », partie des États-Unis en 2008, n’a pas mis en péril des milliers d’entreprises ? Qui se souvient du krach des valeurs Internet, qui a fait perdre des milliards à tant d’investisseurs audacieux ?

Relance de la réserve fédérale américaine FED
Jerome Powell, patron de la Fed, lors de l’annonce d’une baisse des taux d’intérêt, en mars 2020. | Eric Baradat / AFP

La réalité est que la raison de cette urgente obligation des plans de soutien aux entreprises est à rechercher à la fois dans la pandémie et dans les modes de gestion de ces entreprises. L’exemple caricatural de ces modes de gestion est donné par Boeing. Le constructeur d’avions, l’une des entreprises les plus connues au monde, avait dans un passé lointain des habitudes de gestion prudente, des marges bénéficiaires confortables, qui lui permettaient de conserver une trésorerie abondante et de disposer d’une très grande sécurité financière en cas d’incident de parcours.

Plus de relance, moins de trésorerie

Mais la pression financière est passée par là, et la mode du «  tout zéro ». Zéro délai, zéro stock, zéro défaut, sans doute ; zéro trésorerie, aussi. La pression financière veut que l’entreprise distribue à ses actionnaires tout l’argent disponible qui ne peut être employé à augmenter le rendement du capital. Dans une période où l’argent investi sans risque est à rendement nul, ou négatif, le plus facile est de procéder à des rachats d’actions, ou « buybacks » ; l’entreprise consacre sa trésorerie disponible, non à investir ce qui diluerait son rendement global, mais à racheter et annuler ses propres actions, ce qui exerce un effet relatif sur les actions restantes — augmente leur rendement.

Aux États-Unis, certains économistes font observer que Boeing, bénéficiant de contrats et d’aides publics de manière significative — 35 milliards pour moderniser le F16, sans appel d’offres ! – aurait depuis dix ans distribué à ses actionnaires la totalité des sommes reçues, sans rien consacrer à l’investissement ! Certains diront ; voilà pourquoi les avions tombent, et voilà pourquoi l’obsession du rendement financier provoque la catastrophe industrielle que connaît l’Occident dans tous les secteurs à forte intensité capitalistique…

Pour une fois, je ne peux manquer d’évoquer des souvenirs personnels. J’ai côtoyé des entreprises de service qui se sentaient en danger si elles n’avaient pas un an, deux ans de trésorerie devant elles. J’ai côtoyé des entreprises qui ont pris l’engagement de ne licencier aucun de leurs salariés lors de la grande dépression de 2008, parce qu’elles avaient des années de trésorerie devant elles. J’ai aussi connu ces entreprises dont le modèle économique leur permettait de savoir, dès le mois de janvier, qu’elles seraient bénéficiaires pour l’exercice à peine engagé… Il est devenu impossible d’écrire ce principe suivi par des dirigeants sages qui géraient «  en bon père de famille », comme l’ont fait tant de PME familiales quand elles n’ont pas été étranglées par les services des achats de leurs grands donneurs d’ordre ; il reste possible d’analyser l’effet d’une pression financière sans contrepartie qui conduit à l’exigence de rendements de 12 % ou 15 % manifestement incompatibles avec le renouvellement des écosystèmes, la marche des sociétés, ou simplement l’équilibre des affaires. Et il devient urgent de dénoncer l’effet de pratiques de distribution manifestement excessives, qui aboutissent à cette situation bien connue ; la privatisation des profits, la socialisation des pertes.

En cette période d’argent gratuit, rien n’est plus tentant pour des pouvoirs publics aux abois que de noyer la crise sous l’afflux des aides, des subventions et autres mesures de sauvegarde. Viendront se présenter en sauveurs ceux qui n’auront pas à présenter l’addition. Car il n’y a pas d’argent gratuit, malgré ce que la « nouvelle théorie monétaire » veut nous faire croire. Et tôt ou tard, c’est bien l’absurdité d’un système qui ignore les principes de prévoyance, de prudence et d’anticipation qui sera en cause. Et tôt ou tard, c’est bien la démesure de plans de relance qui vont, à leur manière, concourir à l’occupation financière de nos économies et de nos sociétés, qui va apparaître et révéler la réalité ; les mesures prises pour en revenir au monde d’avant par ceux qui prétendent préparer le monde d’après sont pires que la pandémie, elles feront plus de victimes, et elles sont déjà en train de ruiner la foi publique sur laquelle reposent la monnaie, l’ordre public, et le consentement à l’État.


0 commentaire

Laisser un commentaire

Emplacement de l’avatar

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *