La vaccination contre le COVID19 a enflammé l’opinion. Elle demeure un facteur de division, en France comme au sein de l’Union européenne, et pas seulement entre ceux qui croient au vaccin et ceux qui n’y croient pas.
Un vaccin politique ?
Au moment où la Belgique instaure le pass sanitaire, mis en place avec des effets discutés dans d’autres pays, le Danemark, la Suède, la Russie, l’ont abandonné, et la Grande-Bretagne libère complètement la vie sociale, au moins pour les personnes vaccinées dont il faut rappeler qu’elles restent porteuses du virus, donc possiblement contaminantes.
Inutile d’ajouter que des vaccins reconnus par l’OMS, comme le Sputnik russe ou le chinois Sinovac, ne le sont pas par l’Union européenne, ce qui complique singulièrement la vie des expatriés, et donne un caractère géopolitique évident à la querelle des vaccins. Il est plus intéressant d’observer comment c’est le rapport à la science qui enflamme les débats et pousse à l’outrance, de celle qui caricature le Président Macron en Adolf Hitler, sans crainte de l’aberration historique, à celle qui convoque Agnès Buzyn devant la Cour de Justice de la République, éphémère ministre à laquelle il est sans doute possible de reprocher bien des choses, mais certainement pas une gestion de la crise dont bien imprudents sont ceux qui peuvent soutenir qu’ils savaient quoi faire, que décider, et comment organiser la prévention du virus début 2020. Si un ministre mérite une sanction, elle est politique ; que les juges soient tentés de se substituer au suffrage défaillant est une immense question.
Science ou liberté
Derrière les outrances voire les violences, un sujet essentiel est en jeu ; notre rapport à la science et la vérité. Dans son exceptionnel « Cours familier de philosophie politique », Pierre Manent affirme que nos démocraties modernes vivent sous une double autorité ; celle de la science dans le domaine théorique, celle de la liberté dans le domaine pratique. Et il ajoute aussitôt cette évidence ; si elles se confortent jusqu’à un certain point, elles entrent vite en conflit, quand la liberté prétend défier les commandements de la science, ou bien encore quand la science commande de limiter la liberté.
Le COVID19 a renouvelé l’affrontement de toujours entre la science et la liberté. La science dit que la vaccination est le plus sûr moyen de contenir la pandémie ; la liberté affirme que le droit de chacun à décider lui-même de ses choix de santé est indépassable. À la liberté, la science dit qu’un objectif de santé publique peut justifier une limitation des droits individuels ; à la science la liberté dit qu’il y a de sérieux doutes sur les raisons qui ont conduit les pouvoirs publics de certains pays, pas tous, à supprimer de manière autoritaire les dispositifs de prévention du virus et de renforcement de l’immunité naturelle, l’ivermectine et l’hydroxychloroquine venant vite à la rescousse – pourquoi, dans la situation catastrophique des Antilles, avoir interdit la vente de l’ivermectine ?
D’où vient le conflit, et la violence du débat ? Très clairement, de ce fait nouveau et très généralement ignoré : la science est suspecte d’arraisonnement par les intérêts privés. La science n’est plus ce qui cherche la vérité, en dehors voire contre toutes les institutions, les dogmes, les idéologies. La science est ce qui sert les intérêts économiques dominants, elle est construite, gérée, administrée et publiée dans un seul but : augmenter les dividendes. Sa raison est la raison du capital, elle n’a plus rien à voir avec la vérité.
L’affirmation est gravissime, car elle voudrait dire que nous sommes bel et bien sortis de l’ère des Lumières, pour le pire et pour le plus grave. Elle signifierait surtout que l’alliance de la science et de la liberté, pilier de l’autonomie, la science donnant ses fondements à la liberté, et la liberté délivrant la science des chaînes de l’obscurantisme, cette alliance qui caractérise la liberté de l’Occident, est rompue.
La science sous contrôle des intérêts privés se sépare de la liberté, et les libertés politiques comme individuelles ne peuvent plus s’exercer que contre une science qui a perdu ses attributs d’objectivité, d’impartialité, etc. L’affirmation rencontre un sentiment diffus, mais croissant ; celui qui alimente certains délires complotistes, certes, celui aussi qui perçoit le constructivisme d’une société de mise en scène, de communication et de propagande, où ce n’est pas ce qui est qui compte, c’est ce qui en est dit. Où le réel doit s’effacer devant ce qu’il devrait être.
Il est grave que ce sentiment soit alimenté par maints constats, de ces revues à comité de lecture qui mettent sous le contrôle de leurs publicitaires ou donateurs la recherche qu’ils publient, à ces algorithmes qui tendent immanquablement à censurer toute information, tout fait et toute analyse qui ne servent pas le modèle globaliste et sans-frontiériste dominant. Et il est grave qu’en matière de médecine, l’approche de l’homme comme un tout, esprit et matière, qui présidait à la médecine libérale, soit détruite au profit d’une approche mécanique, celle qui réduit le corps à un ensemble de pièces détachées, le diagnostic à une compilation de data, et organise la suppression de la médecine libérale au profit de l’industrie de la santé, numérique, à distance, et privatisée.
Nous en sommes là. Ce n’est pas le moindre effet du Covid que de renouveler le débat entre la science et la liberté. Nous ne sommes pas au bout de cette aventure, toujours reprise, toujours à reprendre. Partout en Europe, la liberté réclame ses droits face à la science. Et partout, grandit le sentiment que la fausse science chasse la vraie, que la science captée par l’intérêt ne supporte plus la recherche indépendante, et n’accepte plus cette contradiction qui est pourtant la seule et permanente condition de sa validité, comme le rappelait Georges Steiner. Il est temps de se rappeler que la science politique doit à Machiavel ses fondations, qui l’ont conduit d’abord à rechercher « la vérité effective de la chose » plutôt que les récits qui en sont faits – et quelle sera la réalité du COVID dans l’histoire ? – et surtout, ensuite, à nous mettre en garde contre ceux qui ignorent les faits pour ne vouloir en connaître que le récit qui en est fait ; ceux-là se condamnent à l’échec, comme ce qui s’est appelé I’Ouest se condamne à l’échec en voulant considérer l’homme et la société selon l’image qu’il s’en fait, et pas selon la réalité de ce qu’ils sont.
De sorte que le vrai savoir est d’être libre, et la seule liberté est de chercher à savoir. De sorte surtout que nous devrions lire et relire Machiavel, qui nous prévient ; « celui qui choisit de voir ce qui devrait être plutôt que ce qui est, celui-là travaille à se perdre plus qu’à se conserver. » De sorte, que face au constructivisme sans limites par lequel le capitalisme entend fabriquer la société du consentement et de l’obéissance, la liberté reprend sur la science le pouvoir que nous avons perdu. Voilà ce qui pourrait bien être le plus important débat, et l’enjeu déterminant, de toute politique à venir. La société doit choisir ce qu’elle fait de la science, sinon la science fera de la société ce qu’elle veut.
Hervé Juvin
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