Le salon Milipol est l’occasion pour les professionnels du maintien de l’ordre de faire le point sur les techniques, les matériels et les systèmes de sécurité. Cette année 2019, un contexte de mouvements populaires nombreux, un ensauvagement parfois violents, la grande peur des possédants de se voir contester un pouvoir soustrait au vote, l’apparition de nouvelles radicalités à peu près inconnues à ce jour — chez les vegans, par exemple — ont donné une actualité nouvelle à un salon qui ne passionne guère le public. Bien à tort. Car ce qui s’est dit, entendu et assumé lors de ce salon vaut l’attention du citoyen.
Un ensauvagement de la société ?
Le constat commun des professionnels de l’ordre, qu’ils relèvent de la police, de la gendarmerie, ou de la sécurité privée, a été exprimé à maintes reprises, notamment dans une conférence de presse tenue le 21 novembre par de hauts responsables des services de renseignement et de sécurité dont la formule-choc était « l’ensauvagement de la société ». Tous constatent la montée de violences inédites, celles des Gilets Jaunes comme celle de commandos qui ont incendié un élevage de poulets dans l’Orne, ou qui saccagent des boucheries — s’en servant au passage pour relativiser la menace islamique ; cachez donc cet Islam qu’on ne saurait affronter, il ne se passe jamais rien à Marseille ou Saint-Denis !
Ils signalent la radicalité des contestations de l’ordre établi, qui vont jusqu’à des menaces ou attaques personnelles contre des élus — ceux de la majorité au pouvoir, bien sûr ; personne ne songerait à s’indigner des agressions contre Robert Ménard ou les élus du Rassemblement National !
Et ils en concluent à la nécessité de surveiller, réprimer et punir les mouvements radicaux, notamment ceux qui pourraient être soutenus par des puissances étrangères. D’ici à appliquer aux mouvements sociaux, aux opposants politiques et aux soulèvements populaires les techniques élaborées dans l’anti-terrorisme, il n’y a qu’un pas que des pouvoirs aux abois n’hésiteront pas à franchir.
Que ne faut-il pas faire pour que les commensaux du Siècle dorment tranquilles ! Nul ne redira rien au constat, qu’il faut même généraliser. Comme policiers et gendarmes le constatent sur le terrain, les Français sont à bout de nerfs, et le moindre incident peut dégénérer.
Un ensauvagement de l’État ?
Il lui manque un pendant : celui de la sauvagerie des mal nommées « forces de l’ordre » dont certains éléments, qui ne sont ni gendarmes ni CRS, ont abusé de leur impunité pour mutiler, handicaper et blesser des centaines de Gilets jaunes, les chirurgiens qui les ont opérés dans l’urgence disant n’avoir jamais constaté pareilles blessures, tant les fractures étaient multiples et la volonté d’abîmer manifeste. Le préfet Maurice Grimaud, en 1968, avait rappelé qu’un policier digne de ce nom ne frappe pas un manifestant à terre. C’était une autre époque sans doute.
C’étaient surtout d’autres dirigeants. Nul n’a jamais douté que le gouvernement du général de Gaulle défendait la France, et qu’il voulait le bien de tous les Français. C’étaient aussi d’autres politiques, durement affrontées, mais autour d’une même poursuite du bien commun et de l’intérêt de la Nation. Des communistes aux gaullistes, tous avaient la France en commun. Ce n’est pas la politique des pouvoirs actuels, pas celle du 1 % qui a confisqué 85 % des fruits de la reprise économique aux États-Unis comme en France, pas celle des tribus et des mafias qui s’emploient à détruire l’État de l’intérieur pour mieux livrer la France aux intérêts étrangers.
France, Nation, citoyen, sont devenus des gros mots pour des gouvernants trop fiers de parler un anglais mondialisé, d’employer des esclaves venus du sud pour garder les enfants qu’ils n’ont plus le temps de voir et leur livrer des pizzas à 3 heures du matin, trop fiers surtout de n’avoir rien en commun avec ces « déplorables » qui ont voté Trump, et qui voteront Marine Le Pen. Et ils désignent à l’appareil de sécurité leurs vrais ennemis : pas les bandes qui terrorisent le RER, pas les islamo-mafieux qui fournissent en poudres diverses les soirées de Paris pour entretenir ce chaos qui est le plus sûr allié du pouvoir. Leurs vrais ennemis, et les sauvages désignés aux coups, sont ceux qui se vivent encore citoyens français, qui sont de France et pas en France, et pour qui la France n’est pas un hôtel. Citoyens, identitaires, nationaux, Français, voilà ceux contre qui rien ne sera de trop ; car ils pourraient bien prendre conscience que le pouvoir leur appartient. Car ils sont la France.
Un policier sans doute est à sa place quand il parle de police, et il ne lui est pas demandé de s’occuper de politique ni d’essayer de la comprendre. La sauvagerie déplorée des manifestants n’est que l’effet d’une sauvagerie du système de pouvoir et de gouvernement qui s’abat sans pitié sur ceux qui veulent seulement vivre de leur travail, se sentir tranquille chez eux, et qu’on leur fiche la paix.
Le social est mal défini
Rien de la culture de l’excuse, de l’alibi des « victimes de l’injustice sociale ». Ou plutôt, c’est que le social a changé. Que dire à ces millions de Français qui ont été incités par tous les moyens, à acheter une voiture Diesel, et qui voient pointer du doigt un véhicule invendable — pour beaucoup, l’élément le plus cher de leur patrimoine ?
Que dire à cette infirmière, à cet artisan coupable de deux excès de vitesse et dont le budget du mois calculé à 50 euros près s’effondre ? Que dire à ces agriculteurs qui ont tout bien fait comme le disaient la chambre d’agriculture, le banquier et la coopérative, et qui sont dénoncés comme pollueurs, menacés de saisie pour des emprunts forcés et sentent la haine monter contre eux qui voulaient nourrir le monde ? À ces habitants des Cévennes qui voient le dernier café fermer après le dernier boucher, et qui se cotisent pour payer le trajet en voiture vers le plus proche hypermarché et le dernier médecin ? Que dire à ces millions de Français qui ont tout bien fait, aussi bien-fondé une famille, élevé des enfants, et qui n’y arrivent plus ? Le social, ce n’est pas le 93, c’est le malheur français. La misère, ce n’est pas le RMI, c’est l’abandon de l’État et c’est le mépris du pouvoir.
Un policier devrait être sensible à trois changements radicaux. Les manifestants ne veulent pas détruire l’État, ils demandent que l’État revienne. Ils ne veulent pas le désordre et l’anarchie, ils veulent qu’on remette de l’ordre chez eux, en France et que la police et la justice fassent leur travail en éliminant les nuisibles – ceux qui s’emploient à créer l’irrémédiable entre les gilets jaunes et la police savent bien ce qu’ils font, quand ceux-là sont prêts à s’unir contre leurs ennemis communs. Ils ne veulent pas que tout change, ils veulent conserver ce qui doit l’être et rester chez eux en France, quand le libertarisme des prétendues élites entend détruire tout ce qui dans la société résiste encore, comme famille, comme religion, comme tradition, et comme Nation.
Voilà le cœur de la sauvagerie actuelle. Sociale, assurément. Sécuritaire. Civilisationnelle, même. En moins de trente ans, un citoyen français a vu détruire tout ce qui faisait de lui ce qu’il était, tout ce qui lui donnait confiance et le rendait digne et fier de lui.
3 commentaires
Vigna · 4 décembre 2019 à 12 h 56 min
Merci M Juvin pour ce (vos) texte(s), toujours clair et juste. Je pense porter un sentiment assez partagé en me demandant si l avenir n est pas précisement en l édification d un état parallèle pour pallier aux défiances toujours grandissantes de l institutionnel.. J ai rencontré un nombre important d institutionnels (profs, policiers, soignants, militaires) qui ne se reconnaissent plus dans leurs objectifs définis, mais qui bien sûr obéissent par nécessité. Je me rend bien compte de ce que cela implique mais de toute façon l institutionnel va à la faillite quoi qu il arrivera. Laisser cette faillite se réaliser est une responsabilité inacceptable pour tout français qui se respecte, mais nous manquons de chefs déclarés.. Bonne continuation !
JulesXR52 · 11 décembre 2019 à 16 h 14 min
Ras le bol de voir le libéralisme (terme, soit dit en passant, qui permet de mettre dans un même sac l’économique et le sociétal) en permanence dénoncé, alors que c’est de l’étatisme qu’on souffre. Les Français ne veulent pas du « retour de l’Etat », l’Etat il ne l’ont que trop sur le dos, ils veulent plus de sous pour vivre décemment, et qu’on leur fiche la paix. Des sous, ils en auraient si l’Etat était moins gros, moins omnipotent, moins omniprésent. Votre diagnostic est totalement erroné.
Le dépérissement de l'État, première cause de l'"ensauvagement" - Le Salon Beige · 9 décembre 2019 à 19 h 03 min
[…] la synthèse de cette tribune d’Hervé Juvin. […]