Le ton a été donné au Forum de Davos : «  créer une banque du vivant ». Avec un cynisme parfait, elle a été présentée comme une initiative écologique ; le vivant étant en danger, il convient de le sauver en mettant en banque les génomes de tout ce qui vit, et en en attribuant la propriété ; car, bien entendu, un organisme vivant est totalement réductible à ses gênes !

Voilà ce qui le rend brevetable, privatisable, voilà ce qui en fait un actif mis sur le marché ! Sans que nul ne s’interroge ; ceux qui mettent le vivant en danger, et qui sont précisément ceux qui demandent à l’industrie financière de leur assurer des rendements insoutenables, sont-ils les mieux placés pour sauver ce qu’ils détruisent ?

Lier la banque et la vie aurait dû susciter la légitime appréhension de ceux qui ont éprouvé les ravages que l’activité bancaire déréglée des États-Unis a provoquée en 2008 et jusqu’à aujourd’hui. Mais voilà que le projet, qui a d’emblée attiré pour son financement des milliards de dollars à Davos même trouve une application directe ; transformer le vivant en brevets ! En juillet 2020, des firmes dites « biotechs » ont sollicité la Commission européenne qui a interrogé l’Autorité européenne de la Santé alimentaire pour une évaluation sanitaire et environnementale d’insectes génétiquement modifiés rendus résistants aux pesticides.

Le projet est simple, et répond à un enjeu vital. Les pesticides tuent les insectes, sauvages comme domestiques, et notamment les abeilles, indispensables à la pollinisation. Déjà, des producteurs de fruits louent des ruches aux apiculteurs pour assurer leurs récoltes et compenser la disparition des populations d’abeilles (avec quelques problèmes ; les abeilles ne sont pas nomades et n’aiment pas voyager sur des centaines de kilomètres ; elles meurent empoisonnées par les champs où on les place !) et, déjà, sont observés des baisses de production de fruits et légumes dûes au manque de pollinisateurs dont les effectifs sont en chute libre partout en Europe.

Vie Hervé Juvin
Les abeilles sont de plus en plus menacées.
REUTERS/Ali Jarekji

La solution simple et de bon sens est d’interdire les produits les plus destructeurs (néonicotinoïdes, etc.) et de limiter sévèrement l’emploi des pesticides (ce que promet de faire « l’agriculture de précision » que nous vendent les adeptes du numérique). Or, les néonicotinoïdes, loin de disparaître avec la récolte du végétal, se communiquent à toute la plante, au sol et aux insectes, et de là, infiltrent toute la chaîne alimentaire, jusqu’aux oiseaux et jusqu’à l’homme chez qui ils provoquent des troubles multiples. Voilà ce qui devrait mettre fin à l’injustifiable campagne lancée par des exploitants agricoles complices des agrochimistes pour regretter l’interdiction totale des néonicotinoïdes en France. Mais voilà ce qui ne fait pas l’affaire des agrochimistes. Leur solution est tout autre ; si des insectes pollinisateurs sont tués par les pesticides, pourquoi ne pas les rendre résistants, de la même manière que les végétaux OGM sont rendus résistants aux désherbants, herbicides et autres défoliants directement issus de la guerre du Vietnam ?        

Cette solution est rendue possible par la technique de forçage génétique dite « CRISPR-cas9 » qui permet de bricoler avec l’ADN-ARN des êtres vivants, par exemple pour insérer des gènes venus d’ailleurs, donc développer des propriétés qui leur sont liées. Elle pose seulement quelques questions :

vie ciseaux génétiques
EITH CHAMBERS / SCIENCE PHOTO LIB / KCH / SCIENCE PHOTO LIBRARY / AFP
  • Nul ne connaît les effets induits du forçage génétique. Un être vivant est un tout interdépendant, pas un assemblage de pièces mécaniques. En changer une partie, c’est modifier l’équilibre de l’ensemble. La tentation de traiter le vivant comme une mécanique, sur laquelle une pièce modifiée produit un effet certain et maîtrisé, est dérisoire et obsolète. L’expérience des moustiques génétiquement modifiés pour éliminer le palud, introduits au Brésil a provoqué des catastrophes, notamment l’apparition de moustiques résistants aux insecticides… et porteurs du palud ! Il en va de même de l’expérience de moustiques stériles pour éliminer le virus Zika !
  • Les insectes génétiquement modifiés vont se reproduire et modifier de génération en génération les insectes « naturels » jusqu’à les faire disparaître partout où il y aura des pesticides. À court terme, toute la population d’une espèce va être contaminée. Faudra-t-il la considérer comme brevetée, devant payer des dividendes aux entreprises de biotech à l’origine de la modification génétique diffusée ? Les apiculteurs devront-ils payer une rente aux fabricants d’abeilles OGM ? Le scénario de mainmise sur les espèces vivantes a de quoi séduire des géants du numérique qui cherchent d’autres marchés à créer et d’autres territoires à ouvrir. Il débouche sur une perspective proprement orwellienne ; que la vie devienne payante, une perspective largement ouverte pour l’espèce humaine par la PMA et la GPA, une perspective qui permettrait la régulation de la population humaine comme des abeilles ou des moustiques une perspective que certains croient présentes dans le forçage médiatique qui entoure la vaccination contre le COVID… 

  • La population génétiquement modifiée stocke ou excrète les pesticides auxquels elle résiste. Ce qui signifie que soit ses prédateurs (oiseaux), soit le sol et d’autres insectes en seront contaminés, qui eux n’y sont pas résistants. On sait comment les vermifuges donnés aux herbivores ont décimé la population des bousiers, et détruit le recyclage naturel des bouses de vache, qui acidifient les sols. À terme, créer des animaux génétiquement modifiés signifie que l’homme se donne le droit de déterminer quelle espèce doit vivre, quelle espèce doit disparaître. Une fois encore, en ne connaissant que très peu et en sachant encore moins sur les liens de dépendance qui unissent tous les êtres vivants — l’homme y compris. Une fois encore, en s’attribuant le pouvoir de Dieu — ou de la nature ; décider qui doit vivre et qui doit mourir, décider ce qui a le droit de vivre et ce qui doit disparaître.

Le spectre d’un monde réduit à son utilité se rapproche. Chacun voit, ou devrait voir, vers quoi il conduit ; à la mise en cause de la nécessité de laisser vivre les hommes inutiles. De la nouvelle disposition sur l’interruption médicale de grossesse (IMG) autorisant l’avortement « pour cause de détresse sociale » jusqu’à neuf mois, aux fantasmes qui courent ça et là sur une vaccination universelle permettant de réguler la natalité des populations en surnombre, chacun voit vers quels abîmes avancent ceux qui entendent exercer les pouvoirs de Dieu et s’en croient les élus. Mais tout rappelle aussi vers quels abîmes de l’histoire ils nous précipitent. La nature n’aime pas que l’on fasse son travail à sa place.

Catégories : Ecologie

4 commentaires

Lambertov · 17 août 2020 à 11 h 55 min

Il convient de supprimer le capitalisme avant qu’il ne nous tue!

gilles colcombet · 17 août 2020 à 13 h 17 min

La seule question qui se pose c’est quand ?
Quand la résilience de la société des hommes va se manifester pour mettre fin à tous ces errements et manipulations orchestrés par quelques lobbies mondiaux dont nos hommes politiques européens et français sont les marionnettes ?

Sankara · 19 août 2020 à 19 h 38 min

En survolant votre bio sur Wikipédia vous apparaissez comme un bon politicien classique passant d’une étiquette à l’autre sans trop de débat de conscience…Et puis, en lisant votre article je découvre un citoyen très impliqué dans le respect des lois naturelles et hostile aux délires trans-humanistes…
… Comment parvenez-vous à concilier l’inconciliable ?

Hervé Juvin · 31 août 2020 à 11 h 09 min

Je vous remercie et je suis heureux que les articles vous plaisent.
Je ne pense pas avoir, justement, un « parcours politique » classique ;
Bien cordialement,

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